L’ENHERBEMENT SOUS LE RANG DE LA VIGNE

Depuis 2007, l’IFV Sud-Ouest étudie la faisabilité technico-économique de l’implantation d’un couvert végétal semé sous le rang de vigne. Cette expérimentation vise à mettre au point des stratégies d’entretien du sol limitant l’usage des herbicides.

Quels sont les principales alternatives à l’utilisation des herbicides sous le rang ?

Dans une optique de limitation des intrants, on peut envisager plusieurs alternatives au désherbage chimique sous le rang :

  • le désherbage mécanique interceps qui demeure l’alternative première. Cette technique, bien qu’efficace, peut s’avérer contraignante en termes de coût et d’organisation du travail.
  • le désherbage thermique qui consiste à provoquer un choc thermique à l’origine de l’éclatement des cellules végétales. Il s’agit d’une opération lente et onéreuse qui n’est pas neutre d’un point de vue environnemental puisqu’elle génère l’émission de gaz à effet de serre
  • le paillage ou mulch sous le rang. Il s’agit d’une technique consistantà recouvrir la surface des sols d’un couvert organique. Très peu utilisés dans les vignobles méridionaux et atlantiques, les paillages ont connu un essor certain  dans le vignoble champenois. Entre 2010 et 2013, l’IFV a mené une étude sur l’utilisation de paillages végétaux sous le rang
  • l’enherbement maîtrisé sous le rang. Cette technique pourrait être une alternative complémentaire, intéressante d’un point de vue technique et économique. Deux types de solutions ont été mises à l’essai par l’IFV Sud-Ouest: l’enherbement naturel, et l’engazonnement avec un matériel végétal spécifique.

Quels sont les impacts agronomiques consécutifs à la mise en œuvre d’un enherbement sous le rang ?

Après quatre années de suivi, le passage d’un enherbement limité aux inter-rangs à l’enherbement total de la parcelle entraîne les mêmes types d’effets agronomiques et œnologiques que ceux observés lors d’expérimentations menées sur la mise en œuvre de l’enherbement des inter-rangs: réduction du rendement et de la vigueur, diminution de la teneur en azote assimilable des moûts, augmentation des teneurs en sucres et polyphénols, amélioration de l’état sanitaire. L’intensité de ces impacts varie en fonction des conditions des sites expérimentaux (caractéristiques pédoclimatiques, type de production) et en fonction des modalités testées (espèces semées). Les impacts agronomiques sont les plus marqués sur la parcelle à forte expression végétative située en IGP Gascogne où une baisse du rendement de -35% par rapport au désherbage chimique a été observée. Sur les deux sites expérimentaux en AOP, des impacts de l’enherbement total plus modérés n’excédant pas -25% ont été notés. L’enherbement sous le rang peut ainsi permettre de réduire la vigueur excessive de certaines parcelles et d’atteindre un niveau de production donné sans avoir à mettre en oeuvre des techniques de maîtrise de rendement comme l’ébourgeonnage ou l’éclaircissage.

Eau et/ou azote, quelle type de concurrence est exercée par l’enherbement sous le rang ?

Sur l’ensemble des sites, si le suivi du potentiel hydrique foliaire ne met pas en évidence une augmentation sensible de la contrainte hydrique estivale sur les modalités enherbées sous le rang, la gestion de la contrainte azotée demeure un point crucial. La concurrence azotée exercée, mesurée à floraison et véraison, se traduit sur le végétal par une réduction de la surface foliaire – le rapport feuille fruit est néanmoins amélioré par l’enherbement total – et impacte fortement la teneur en azote assimilable des moûts (de -2% à -62%), ce qui peut être préjudiciable à leur qualité organoleptique.Une expérimentation spécifique est en cours afin de tester différentes stratégies de fertilisation pour les parcelles enherbées sous le rang. Dans le cas d’un enherbement total, la difficulté est de trouver un moyen d’alimenter la vigne sans que la fertilisation ne soit détournée par l’herbe.

Enherbement naturel, engazonnement, quelle(s) espèce(s) choisir ?

L’enherbement naturel présente l’avantage d’une facilité de mise en œuvre, l’enherbement semé, ou engazonnement, pourrait permettre un meilleur contrôle de la concurrence hydro-azotée par le bon choix d’espèces, variétés ou mélanges. Parmi l’ensemble des modalités testées dont la majorité est constituée de graminées pérennes choisies pour leur concurrence limitée ( fétuque rouge, fétuque ovine, kœlerie, dactyle, pâturin des prés), il a été difficile de discriminer les types de couverts végétaux. Les mélanges à base de kœlerie se sont distingués les premières années par leur impact le plus faible sur la vigueur. Quant à l’enherbement naturel, son impact sur la vigne tend à augmenter au fil des ans en parallèle à son taux de recouvrement sous le rang, mais il est également fortement dépendant de la flore qui le compose. L’introduction de légumineuses est une des solutions en cours d’expérimentation pour gérer la concurrence azotée : un banc d’essai de différents types d’enherbement monospécifiques et d’associations graminées/légumineuses, a été mis en place. Une autre piste en cours d’étude est celle des espèces annuelles, à auto-resemis, et cycle décalé avec la vigne, afin de limiter la concurrence hydro-azoté printanière et estivale.

Quelles stratégies mettre en oeuvre pour minimiser ces impacts agronomiques ?

Dans l’hypothèse où la baisse de vigueur ou de rendement consécutive à la mise en place d’un enherbement total n’est pas recherchée, nous pouvons imaginer conserver l’enherbement maîtrisé sous le rang et l’associer à des pratiques dans l’inter-rang moins concurrentielles pour la vigne comme le désherbage mécanique ou un enherbement temporaire (ex. engrais verts…). Afin de tester ce type d’itinéraire technique, nous avons réorienté notre expérimentation en introduisant du désherbage mécanique un inter-rang sur deux. Ce choix a également permis de fertiliser la vigne dans l’inter-rang travaillé, ce qui n’était pas envisageable dans le cas d’un enherbement total. La proportion de superficie enherbée a ainsi été réduite à 65% (33% pour la référence désherbage chimique sous le rang) avec conservation de l’enherbement maîtrisé sous le rang. Les premiers résultats sur la vigueur, le rendement et la teneur en azote assimilable des moûts sont encourageants.

Comment implanter et entretenir un enherbement sous le rang ?

Le transfert de la pratique d’enherbement sous le rang à grande échelle est très lié à la mécanisation des opérations d’implantation et d’entretien, qui sont très spécifiques puisque réalisées entre les souches. La réussite de l’implantation passe par la réalisation d’un lit de semence à l’automne et la projection des graines dans cette terre travaillée. Certains outils interceps donnent entière satisfaction pour la préparation de la terre. En ce qui concerne le semis, nous avons pu mettre en évidence la faisabilité de l’auto-construction d’un semoir pour le cavaillon, avec des éléments simples, disponibles sur le marché, tels qu’une trémie pneumatique, des griffes montées latéralement sur un cadre extensible et des peignes râteau derrière les distributeurs orientables.

Sur nos essais, les suivis réguliers des taux de recouvrement par espèce sous le rang mettent en évidence un bon comportement général des couverts végétaux semés en termes de contrôle de la flore adventice, malgré des conditions de mise en œuvre «rustiques». L’entretien de l’enherbement sous le rang se heurte aux mêmes contraintes que le désherbage mécanique de la ligne des souches: pour travailler correctement, les faucheuses interceps doivent respecter une vitesse d’avancement très réduite. Ces deux dernières années, les matériels de tonte interceps ont bien évolué. Des têtes de coupe à fil sont apparues dans les gammes des constructeurs, en complément ou en remplacement des lames. La configuration de travail des tondeuses a aussi changé, par exemple, chez Ferrand, un portique enjambeur permet à deux modules de tonte de travailler sur le même rang, pour éviter les imperfections liées aux systèmes déportés latéralement. Malgré ces avancées, la tonte sous le rang se heurte toujours au problème de l’approche de la souche, qui est limitée par les risques de blessures. Pour répondre à cette problématique, on peut envisager d’utiliser des brosses polyvalentes herbe-pampres, qui permettent de contrôler la flore par abrasion au sol, ce qui est sensiblement différent de la tonte et à réserver à un enherbement spontané. Un enherbement semé serait probablement très abîmé avec cette méthode.

En termes d’entretien, nous enregistrons une moyenne de deux à trois tontes par an, tous sites et toutes modalités d’enherbement confondues. Le nombre d’interventions sur les modalités enherbées est équivalent, voire inférieur, au nombre de passages sur la modalité désherbage mécanique.

Quelle place pour les robots dans l’entretien de l’enherbement sous le rang ?

L’arrivée des robots au vignoble pourrait changer la donne, en modifiant la hauteur et la fréquence de tonte permise pour moduler la contrainte exercée par le couvert. Une expérimentation a été mise en place en 2017 avec le soutien d’interbio, pour évaluer l’impact de tontes agressives et fréquentes (toutes les semaines, tous les mois) sur le comportement des couverts et la nutrition hydro-azotée de la vigne. Les premiers résultats suggèrent que celles-ci sont de nature à limiter la concurrence hydrique et azotée par rapport à des tontes réalisées moins fréquemment et moins ras avec une mécanisation plus classique. La pertinence de ces stratégies doit être évaluée sur la durée, pour vérifier notamment l’impact éventuel sur la fertilité d’une année sur l’autre, et en fonction de la disponibilité ainsi que de la performance réelle des robots.

Share This