LES VARIÉTÉS RÉSISTANTES

La création de variétés de vignes résistantes aux maladies fongiques s’est accélérée depuis une quinzaine d’année. Elle s’inscrit dans la stratégie menée par la filière vitivinicole pour réduire son utilisation des produits phytosanitaires.

Qu’est-ce qu’une variété résistante ?

Après des millénaires de sélection humaine, la diversité variétale au sein de l’espèce Vitis vinifera est constituée de milliers de cépages, présentant une large gamme de caractéristiques agronomiques et œnologiques, mais pas ou très peu de résistances à des parasites majeurs importés d’autres continents comme le mildiou et l’oïdium.

A l’opposé, d’autres espèces sauvages de Vitis d’origine américaine (V. riparia, V. rupestris, V. aestivalis, V. cinerea, …) ou asiatique (V. amurensis, V. coignetiae, …) ainsi que le sous-genre Muscadinia (origine américaine) portent des résistances naturelles à ces pathogènes. Ces mécanismes peuvent s’avérer très efficaces, jusqu’à même constituer une barrière totale dans le cas de certains gènes de résistance à l’oïdium.

La création de variétés résistantes a pour objectif d’obtenir des individus ayant intégré des caractères de résistance issus de vignes américaines ou asiatiques dans le fond génétique des vignes européennes. Les techniques appliquées pour réaliser cette introgression font appel à des croisements successifs couplés à une sélection rigoureuse des descendants.

Comment créer une variété résistante ?

L’obtention de vignes combinant des qualités culturales et œnologiques intéressantes et des gènes de résistance se fait en plusieurs étapes :

  • L’hybridation. La partie femelle des fleurs d’un génotype portant des résistances est fécondée par le pollen des fleurs d’une variété de Vitis vinifera, ou l’inverse (Figure 1). Les pépins qui résultent de ce croisement sont ensuite semés, développant autant de nouvelles variétés distinctes possédant 50 % du génome de chacun des parents.

 

Figure 1. Ablation des étamines (castration) d’une variété destinée à servir de parent femelle dans un croisement. (source INRA)
  • L’introgression. Elle consiste à réaliser une série de re-croisements de certains des génotypes obtenus (sélectionnés sur la présence des résistances voulues et sur d’autres critères essentiels) avec Vitis vinifera, afin d’éliminer les caractères agronomiques négatifs hérités des Vitis sauvages porteuses des résistances (Figure 2). A chaque cycle, une partie du génome issu du parent résistant est éliminé (statistiquement, 50% en moyenne), et les individus n’ayant pas hérité du ou des gène(s) de résistance souhaité(s) ne sont pas conservés.
Figure 2 : Schéma d’introgression

A la fin des rétro-croisements, la part du génome provenant des espèces sauvages autres que Vitis vinifera peut représenter une très faible part du génome de la nouvelle variété (par exemple moins de 2% après 5 rétro-croisements). Cette valeur est uniquement statistique sur une population issue d’un même niveau de rétro-croisement, et varie concrètement d’un individu à l’autre (en raison de la ségrégation aléatoire des chromosomes et des recombinaisons entre chromosomes homologues lors de la méiose).

A l’heure actuelle, 31 facteurs de résistance ont été répertoriés contre le mildiou et 15 contre l’oïdium. Peu d’entre eux confèrent des résistances totales ou très fortes, et les gènes concernés sont considérés comme un bien commun très précieux. La plupart de ces facteurs sont portés par des fragments de chromosomes, qui contiennent en réalité des groupes de gènes apparentés. Pour certains d’entre eux, des formes alléliques différentes sont connues, qui peuvent conférer des niveaux de résistance distincts.

Une liste des loci connus de résistance (et d’autres traits particuliers sur la vigne) régulièrement mise à jour est disponible sur le site du Vitis International Variety Catalogue à l’adresse suivante :

https://www.vivc.de/index.php?r=loci%2Findex 

Comment assurer la résistance dans le temps ?

« Une résistance est dite durable lorsqu’elle reste efficace dans une variété cultivée sur de grandes surfaces, pendant une longue période, et dans des conditions favorables au développement de la maladie » (Source INRAE).

Cette notion de durabilité peut être mise à mal car certains pathogènes sont capables de contourner ou éroder de façon irréversible un facteur de résistance. Pour limiter ces risques, la stratégie la plus efficace est de cumuler plusieurs facteurs de résistance dans une même variété (notion de polygénie). Cette stratégie s’avère d’autant plus efficace si ces facteurs ciblent des mécanismes différents chez le pathogène.

 

Résistance monogénique ou polygénique

Une résistance est dite monogénique lorsqu’elle s’appuie sur un seul gène de résistance. Elle est statistiquement plus facile à contourner par les pathogènes qu’une résistance polygénique (conférée au minimum par deux gènes), car les agresseurs doivent être porteurs de plusieurs mutations concomitantes pour contourner chaque facteur de résistance.

Le pyramidage qui consiste à combiner au sein d’une même variété plusieurs gènes de résistance agissant de manière complémentaire contre les agents pathogènes diminue donc fortement le risque de contournement.

Il est également important ne pas diffuser séquentiellement les gènes de résistance (qui sont en nombre limité), afin de ne pas faciliter leur contournement un à un, situation qui menacerait également la durabilité des résistances pyramidées constituées avec ces mêmes gènes.

L’Organisation Internationale de la Vigne (OIV) a pris une résolution dans ce sens (OIV 515-2013), qui préconise également de maintenir une protection phytosanitaire minimale afin de réduire les populations de pathogènes, et limiter ainsi leurs possibilités d’adaptation au vignoble : http://188.165.107.123/public/medias/423/viti-2013-2-fr.pdf

Quelle est la règlementation en vigueur concernant les variétés résistantes ?

La règlementation française (et européenne) distingue la possibilité de commercialiser du matériel végétal (inscription au Catalogue officiel de chaque état membre), et l’autorisation de produire et commercialiser du vin (classement viti-vinicole).

Inscription au Catalogue

Elle est accordée par le Ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation, de la Pêche, de la Ruralité et de l’Aménagement du Territoire. Il fait appel pour cela à l’avis d’un comité consultatif, la section vigne du CTPS (Comité Technique Permanent de Sélection).
Pour être inscrite au catalogue, la nouvelle variété doit être distincte (D) des variétés déjà inscrites, homogène (H) et stable (S). La DHS décrit ainsi les caractéristiques phénotypiques des nouvelles variétés.
Elle doit également posséder une Valeur (V) Agronomique (A), Technologique (T) et Environnementale (E) suffisante par rapport aux variétés les plus utilisées du moment. Ces études VATE portent principalement sur le rendement, l’adaptation aux conditions de milieux et aux itinéraires techniques limitant les intrants (fongicides, azote, eau…), la résistance aux bioagresseurs et aux stress abiotiques, et les caractéristiques organoleptiques des vins.
Enfin, pour être inscrite au Catalogue, il faut que cette nouvelle variété possède son propre nom, qui ne doit pas prêter à confusion avec celui d’autres variétés.

Classement

L’admission au classement vitivinicole peut être de deux ordres :

  • Un classement définitif qui constitue la liste des variétés dont le vin peut être commercialisé dans le respect des encépagements prévus par les différentes réglementations. Ces variétés peuvent être plantées sans restriction dans ces situations (vins sans IG, …)
  • Un classement temporaire qui autorise la plantation dans un cadre expérimental de variétés en cours d’évaluation. Il a été créé pour pouvoir implanter plus rapidement sur le terrain des variétés en attente du classement définitif, qu’elles disposent d’une DHS ou pas. Si c’est le cas, elles peuvent être plantées à hauteur de 20 hectares par bassin de production. Dans le cas contraire, la superficie de plantation est limitée à 3 hectares au niveau national tant que la DHS n’est pas complète.

Où en est le classement des variétés résistantes ?

4 variétés pyramidées issues du programme INRAE ResDur 1 ont été inscrites au Catalogue et classées en 2018 : Artaban N, Vidoc N, Floreal B et Voltis B.

Fin 2021 et début 2022, 5 nouvelles variétés (INRAE ReSdur 2) sont venues élargir la gamme : Coliris N, Lilaro N, Sirano N, Selenor B, et Opalor B. Ces dernières disposent de résistances polygéniques au mildiou et à l’oïdium et présentent une moindre sensibilité au Black rot. Pour ce dernier, une protection complémentaire reste cependant nécessaire. 

A la demande de la profession, certaines variétés dites « INRAE Bouquet » (du nom de leur obtenteur Alain Bouquet), présentant des résistances fortes héritées de l’espèce Muscadinia rotundifolia mais considérées comme monogéniques, font l’objet d’un classement temporaire pour expérimentation. Si les suivis effectués durant cette phase ne décèlent pas de contournement qui mettraient en danger les obtentions Resdur (fondées sur les mêmes résistances), et si les VATE sont concluantes, certaines pourraient être définitivement classées.

En 2022, l’offre totale de variétés inscrites au catalogue français et disposant de résistances (de niveaux variables selon les cas et les maladies concernées) s’établit comme suit :

  • 4 variétés de table : Sulima, Muscat bleu, Suffolk red, Einset.
  • 12 variétés d’agrément (plutôt table, destinées à des usages non professionnels) : Candin, Aladin, Perdin, Fanny, Lilla, …
  • 9 variétés pour jus de raisin : Iloa, Silara, Farelia, Flot rouge, Recybel
  • 21 hybrides anciens de cuve, dont 2 destinés à la distillation (Baco blanc et Vidal blanc)
  • Les 9 variétés de cuve INRAE-ResDur
  • 2 variétés INRAE-Bouquet destinées à la distillation (Coutia et Luminan)

En complément, les vignerons disposent également de 13 variétés résistantes étrangères. Il s’agit de sélections allemandes (9), suisses (2) et italiennes (2). Elles ont été classées en France sans pour autant figurer au Catalogue national, car déjà inscrite au Catalogue d’un autre pays membre de l’Union Européenne.

L’observatoire national des variétés résistantes (OSCAR)

Comment suivre dans le temps la stabilité des résistances de ces variétés ?

OSCAR (Observatoire National du déploiement des variétés résistants) est un dispositif partenarial conçu par l’INRAE (UMR Save) et l’IFV pour suivre la durabilité des résistances des nouvelles variétés, et pour construire les itinéraires techniques qui doivent les accompagner. Toutes les catégories de variétés sont concernées (polygéniques ou non, françaises et étrangères).
Les parcelles de variétés résistantes incluses dans ce dispositif d’étude ont une superficie d’au moins 0,2 ha. Aucune contrainte n’est imposée aux viticulteurs sur leur mode de conduite. L’objectif de ce réseau est d’y intégrer une grande diversité de contextes agro climatiques et de productions pour obtenir le maximum d’informations.

 

Quels sont les objectifs d’OSCAR ?
  • La surveillance des bio-agresseurs ciblés par la résistance (mildiou, oïdium) et l’identification des risques de contournement.
  • La détermination des sensibilités aux différentes maladies ou ravageurs non concernés par les résistances
  • Le partage d’expérience permettant d’obtenir des informations concernant le comportement agronomique des cépages en condition de production et sur différents systèmes de culture.
  • Une recherche participative entre les viticulteurs, les interprofessions, les Chambres d’Agriculture, les instituts de recherche.
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