STABILITÉ PROTÉIQUE ET COLLAGE DES VINS BLANCS A LA BENTONITE

La présence de protéines instables dans les vins blancs et rosés peut provoquer l’apparition d’un trouble en bouteilles sous l’effet de la chaleur, lequel est préjudiciable à la commercialisation des vins. L’utilisation d’une argile – la bentonite – permet de prévenir ce risque.

Quel est le mécanisme de la casse protéique dans les vins ?

Dans les vins, en présence de tannins, il peut se former un complexe tanin-protéine, assimilable à un colloïde hydrophobe négatif qui flocule sous l’effet des cations. Dans la plupart des situations, sur vins blancs et rosés, la casse protéique est associée à une modification de la structure tridimensionnelle des protéines par élimination d’eau, ce qui les rend insolubles à froid. Dans les vins rouges par contre, les protéines sont précipitées par les tannins.

Quelles sont les protéines responsables de l’instabilité des vins et quels sont les facteurs d’enrichissement des moûts en protéines ?

D’après certaines études (Waters et al., 1991-1992), il semblerait que les protéines responsables de l’instabilité des vins blancs et rosés proviennent exclusivement du raisin, et seraient résistantes aux protéases de la levure. Les peptides d’origine levurienne libérés par autolyse pendant la fermentation alcoolique et l’élevage, sont considérés comme thermostables. D’une manière générale, la teneur en protéines instables dépend de nombreux facteurs :

  • le cépage : le Sauvignon Blanc ou le Colombard, par exemple, sont des cépages riches en protéines thermo-instables
  • la maturité : la teneur en protéine augmente avec la maturité
  • les pratiques viticoles : certaines pratiques viticoles, comme la pulvérisation d’azote foliaire réalisée à la véraison ou l’enherbement, modifient la composition azotée du moût
  • les techniques préfermentaires : la macération pelliculaire augmente la teneur des moûts en protéine, la présence de rafles tend à la diminuer (fixation par les tanins)
  • la fraction du jus :  les jus de presse sont plus riches en protéines que les jus de goutte. Leur incorporation tend par conséquent à augmenter l’instabilité du moût
  • la stabilité protéique spontanée du vin qui augmente au cours de sa conservation sur lies

Comment évaluer le risque d’apparition d’un trouble protéique ?

Différents essais de laboratoire sont utilisés pour évaluer avant la mise en bouteille, le risque d’apparition d’un trouble protéique. Ces tests sont basés sur l’instabilité des protéines dans différentes conditions : à la chaleur ou en présence de tannins, d’acide trichloroacétique, d’acide phosphotungsténique ou encore de sulfate d’ammonium. Les plus répandus sont :

  • le test à la chaleur : il consiste à placer le vin limpide à une température donnée pendant un temps donné. La température de chauffage se situe entre 40°C et 100°C. Le test le plus répandu est le chauffage à 80°C pendant 30 minutes
  • le test au TCA ou acide trichloroacétique. 10 ml de solution à 55% de TCA sont rajoutés à 100 ml de vin limpide. Le mélange est chauffé 2 min au bain-marie à 100°C et le trouble est observé après refroidissement à température ambiante
  • le test à base d’acide phosphomolybdique (à raison de 10%) ou bentotest. Il consiste à rajouter à 10 ml de vin limpide 1 ml de bentotest. Le trouble est observé après mélange et après 7 à 8 minutes à température ambiante.

L’observation d’un trouble léger peut se faire par éclairage lattéral sur fond noir. Dans un endroit sombre, éclairer le bas du tube à essai avec une lampe électrique, et observer le faisseau lumineux à travers le liquide. Elle peut également se faire par mesure de turbidité qui doit être inférieure à 2 NTU.

Les études réalisées par le groupe national de travail sur la stabilité protéique, piloté par l’IFV, ont montré que ces tests ne permettaient pas d’évaluer correctement le risque de casse protéique en bouteille. Lors d’essais réalisés sur des vins conservés en bouteille à 35°C pendant 2 mois, certains vins fortement instables ne se sont pas troublés, alors que d’autres se sont troublés malgré une réaction faible. Ces tests ne donnent aucune indication sur l’évolution des protéines une fois le vin en bouteille.

Quel est l’intérêt de la bentonite pour éviter les troubles protéiques ?

La bentonite est une colle minérale provenant de la décomposition de cendres volcaniques. Elle a été découverte en 1888 aux USA dans l’état du Wyoming, extraite près du fort Benton d’où elle tire son nom. Il s’agit d’un silicate d’aluminium hydraté, composé principalement de montmorillonite et structuré en feuillets. L’espace interfoliaire peut absorber de l’eau, il y a alors gonflement de la bentonite. Mise en suspension, elle forme une dispersion colloïdale dont les particules chargées négativement, ont la propriété de fixer les protéines qui, au pH du vin, sont chargées positivement. La bentonite, qui est une colle lourde, chute facilement au fond des cuves et est éliminée par soutirage.

Quelles sont les différentes bentonites disponibles sur le marché ?

Il existe des bentonites grises, beiges, roses, vertes et des blanches qui sont les plus pures. Dans la pratique, plus une bentonite a la possibilité de gonfler à l’eau, plus elle sera efficace pour éliminer les protéines. Les différentes bentonites disponibles sont :

  • les bentonites sodiques naturelles : elles sont très réactives, possèdent un taux de gonflement important, et fixent facilement les protéines. Elles libèreraient légèrement du sodium dans le vin, mais la baisse d’acidité serait négligeable
  • les bentonites calciques :  ces bentonites exploitées en Europe sont peu réactives et possèdent un taux de gonflement faible. Leur action sur les protéines est insuffisante, mais elles permettent le tassement des lies.
  • les bentonites calciques activées : elles ont subi une activation par le carbonate de sodium ou par la soude, et sont très réactives avec un taux de gonflement très élevé. Leur activité est égale ou supérieure aux bentonites sodiques. Ce sont les bentonites les plus fréquemment utilisées aujourd’hui
  • les bentonites sodiques activées : leur activité initiale a été renforcée par traitement, ce qui les rend très actives. Elles sont souvent qualifiées de suractivées

Quelle dose de bentonite utiliser ?

Il n’y a jamais de « surcollage » avec de la bentonite, mais au laboratoire il est important de choisir la dose la plus adaptée. Utilisée sur vins blancs à des doses importantes (supérieures à 80g/hl), la bentonite affaiblit le potentiel aromatique des vins. L’élimination, sur Sauvignon d’une fraction de la 4 MMP a été mise en évidence. Elle éliminerait également une fraction de béta-ionone à l’arôme de violette. Pour déterminer la dose de bentonite nécessaire à l’élimination des protéines d’un vin blanc ou rosé, il faudra faire en laboratoire des essais de traitement avec différentes doses (10-20-40-60-80-100 g/hl par exemple) de bentonite gonflée, et de déterminer sur le vin traité et filtré, l’échantillon à partir duquel il n’y a pas d’apparition de trouble avec le test au chauffage, au TCA ou le Bentotest. L’expérience permet rapidement de limiter les essais à 2 ou 3. D’une manière pratique, on peut appliquer à 100 ml de vin limpide des volumes croissants de solution de bentonite à 10% (10 g/hl=0,1 ml ; 20 g/hl=0,2 ml…100 g/hl=1ml). Après floculation, on prélève 10 ml de surnageant sur lequel on réalise les tests de stabilité décrits précédemment.

Quand réaliser le collage à la bentonite ?

Les essais menés par le groupe national de travail sur la stabilité protéique, ont confirmé que l’évaluation des risques d’instabilité protéique était possible sur les moûts avant fermentation alcoolique à l’aide des tests habituels. Ces résultats permettent d’envisager une stratégie de stabilisation protéique, plus respectueuse des qualités organoleptiques des vins blancs, dès le stade préfermentaire, et adaptée à l’importance des protéines instables dans le moût. On peut envisager deux stratégies de collage à la bentonite en fonction du produit que l’on souhaite élaborer :

  • des vins qui doivent être consommés jeunes avec soutirage précoce et sans élevage sur lies, ont intérêt à être collés à la bentonite sur moût. Ceci permet de limiter les pertes aromatiques d’un traitement post fermentation alcoolique, d’éliminer les polyphénols oxydases, tout en stimulant la fermentation grâce à un effet support sur les levures. L’argile retardant la sédimentation des bourbes, l’addition de bentonite doit être réalisée sur moût propre après débourbage. L’idéal est de la saupoudrer sur moût (sans gonflement préalable) au cours d’un remontage à la pompe, au début de la fermentation alcoolique, pour bénéficier de la présence protectrice vis à vis de l’oxydation du dioxyde de carbone
  • compte tenu de l’effet préjudiciable d’un séjour de plusieurs mois sur bentonite, les vins destinés à être élevés sur lies devront être collés sur vins. Ce séjour sur lies permet également de réduire les doses de bentonite nécessaires à sa stabilisation

Comment réaliser un collage à la bentonite ?

Le gonflement de la bentonite au préalable dans de l’eau, est fortement recommandé pour les bentonites en poudre, et obligatoire pour celles en granulés. Il faut préparer une suspension dans de l’eau (10%). Pour éviter la formation de grumeaux, elle doit être versée à la surface du liquide avec agitation. Le gonflement à l’eau chaude (50-60°C) est plus rapide. La suspension de bentonite est introduite dans le vin à l’occasion d’un soutirage, le passage dans une pompe achève de déliter les grumeaux, et permet un mélange homogène. Il faut savoir que la sédimentation est meilleure à 20°C qu’à 10°C et pour les pH bas. Il est préférable d’utiliser des cuves de faible hauteur. 2 à 3 semaines après le traitement, le vin est clarifié par soutirage. Le vin peut alors être traité par le froid dont l’efficacité est améliorée par le traitement à la bentonite, puis filtré.

Quel est le coût d’un collage à la bentonite ?

Les bentonites sont commercialisées en poudre ou en petits granulés, généralement en sacs de 15 ou 50 kg, ou en sachet de 5 kg. Leur coût varie de 0,60 à 1 € HT/kg ce qui représente par exemple pour un traitement à 50 g/hl, un coût presque négligeable de 0,30 à 0,50 €/hl de vin traité.

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