LA CONSERVATION DU MATÉRIEL VÉGÉTAL

Afin de limiter la perte de ressources génétiques de la vigne depuis la reconstitution post phylloxérique, de nombreux conservatoires ont été implantés en France.

Que sont les enjeux de la conservation du matériel végétal ?

La vigne cultivée a connu un appauvrissement génétique inéluctable engendré à la fois par la culture d’un nombre de plus en plus restreint de variétés, et par l’utilisation généralisée de clones sélectionnés au sein de ces dernières. On peut d’ailleurs associer au concept d’érosion génétique le long déclin des populations de Vitis vinifera ssp. silvestris («lambrusques»), réfugiées depuis les dernières glaciations dans les forêts européennes, et progressivement affaiblies par le recul de leur habitat naturel depuis le Moyen Age. Décimés en dernier lieu par les maladies cryptogamiques et le phylloxera, les peuplements sont aujourd’hui réduits à des stations botaniques regroupant quelques individus (au mieux une trentaine), ce qui a justifié en 1995 l’inscription de cette sous-espèce sur la liste des espèces végétales protégées sur l’ensemble du territoire métropolitain. La mise en place de conservatoires, qui constitue aujourd’hui une priorité dans l’ensemble des vieux pays viticoles, permet aussi épisodiquement de préserver cette ressource. En ce qui concerne les variétés cultivées, les enjeux de la conservation sont multiples :

  • Connaître et étudier la diversité intravariétale des cépages traditionnels, dans le but de la représenter au mieux par la sélection pour la mettre à portée de la viticulture. Sans les parcelles ressources que constituent les conservatoires, véritables réservoirs d’adaptations potentielles à de nombreux besoins, la diversité ne pourrait pas être aussi largement représentée dans le matériel végétal à disposition des vignerons. Les caractères d’intérêt exploitables peuvent concerner les composantes du rendement (taille et architecture des grappes, fertilité, taux de nouaison…), la sensibilité au botrytis, la vigueur, la phénologie, le port ou les paramètres œnologiques (richesse en sucre, acidité, composés phénoliques, précurseurs d’arômes…)
  • Comprendre l’origine du polymorphisme clonal : des travaux sont en cours au sein de l’UMT Géno-Vigne® regroupant l’IFV, Montpellier Supagro et l’INRA afin de connaître la base génétique de la variabilité clonale. Certaines avancées laissent à penser que des outils de caractérisation moléculaire seront bientôt à disposition de la filière et pourront appuyer des démarches de sélection, de contrôle, d’identification…

A quand remonte la conservation de la vigne en France ?

L’histoire des collections de vignes en France débute avec les premières plantations de l’Abbé Rozier à Béziers en 1779. Dès 1782, l’intendant du Roi pour la Guyenne, Dupré de Saint-Maur, entreprend également une collection majeure à Bordeaux, largement inspiré par les idées visionnaires de Rozier. Hélas, ces deux réalisations n’eurent qu’une durée de vie très éphémère. L’époque troublée qui suivit la Révolution Française s’accompagna entre autres de la confiscation des biens du clergé, mit à mal certaines initiatives, et nous priva probablement de quelques précieuses archives.

Au début du XIXè siècle, le Comte Odart, Victor Pulliat, puis Jean-Antoine Chaptal et Louis-Augustin Guillaume Bosc réalisèrent des collections importantes. Celle des jardins du Luxembourg, qui fut déplacée au Jardin d’Acclimatation du Bois de Boulogne en 1867 et comptait plus de deux mille variétés nommées, servit à constituer la base de la collection de l’Ecole d’Agriculture de Montpellier, créée par Gustave Foëx en 1880 et que Louis Ravaz développa considérablement à partir de 1897.

Enfin, pour parvenir à l’époque moderne, cette dernière permit en 1950 la création du Domaine de Vassal, qui constitue aujourd’hui la seule collection de vignes dont une partie est directement héritée du XIXème siècle.

Entretemps, quelques initiatives locales, alimentant parfois des travaux prometteurs mais trop vite interrompus, avaient abouti à la mise en place de collections régionales. La plus importante fut sans conteste celle du Château Carbonnieux des frères Bouchardeau (à Léognan). Débutée en 1827, à partir de la collection du Jardin du Luxembourg, elle subsista au moins jusqu’en 1868, où 1241 variétés sont alors recensées en provenance de plusieurs pays (avec probablement de nombreuses synonymies). Entre autres réalisations, on peut également citer les collections de M.Ysarn de Capdeville à Montauban (82), qui commença à étudier les synonymies régionales vers 1840, de Courtiller à Saumur, du parc de la Tête d’Or à Lyon, ou de M. Audibert près de Tarascon (13).

Jusqu’à la destruction du vignoble européen par le phylloxéra, la finalité de ces collections était une mise à plat des connaissances ampélographiques. L’entreprise, rendue délicate par les innombrables synonymies et homonymies entre les variétés, par ailleurs généralement mélangées sur les parcelles, se heurtait également à l’absence de méthodologie descriptive rigoureuse.

Après l’épisode dévastateur du phylloxera (à partir de 1867), qui envoya probablement aux oubliettes de l’histoire viticole un nombre considérable de variétés, la finalité des collections de vigne changea radicalement : de champs d’essais comparatifs, destinés à établir les synonymies entre cépages et à en étudier les qualités intrinsèques, elles devinrent progressivement des lieux de conservation au sens strict, derniers remparts contre un appauvrissement inéluctable.

A l’époque moderne, en France, on peut considérer que la première étape aboutissant au maintien et à l’étude de la diversité clonale des variétés cultivées a été la création en 1944 de la « Section de Sélection et de Contrôle des Bois et Plants de Vigne » sous la responsabilité du professeur Jean Branas, dont l’un des objectifs principaux, outre la nécessité d’approvisionner la viticulture en matériel végétal homogène et clairement identifié, était de limiter la diffusion du court-noué. Cette initiative a été suivie par la création du Domaine de Vassal en 1949, puis de l’ANTAV en 1962 (Association Nationale Technique pour l’Amélioration de la Viticulture) dans les sables du cordon littoral. Parallèlement, les premières collections destinées à évaluer la diversité au sein des variétés majeures furent mises en place à l’INRA de Colmar entre 1942 et 1950 puis à l’INRA de Bordeaux en 1957. Elles servirent de support aux premiers travaux de sélection clonale mais une partie des clones qu’elles renfermaient fut parfois abandonnée à la fin des études. L’INRA, puis l’ANTAV sont à l’origine des premières implantations de conservatoires qui étaient d’abord consacrés aux variétés majeures (Grenache, Gamay, Sauvignon, Cabernet Sauvignon, Merlot, Gewurztraminer, Riesling…). C’est à la fin des années 1980 que le nombre de conservatoires effectivement créés avec une volonté de pérennité a augmenté de façon significative et régulière.

Comment s’organise la conservation des ressources génétiques en France ?

Progressivement, le dispositif actuel de conservation du matériel végétal en France, s’est structuré en trois niveaux complémentaires :

  • la collection ampélographique centrale nationale et internationale (INRA, Domaine de Vassal), établie en 1949 à Marseillan-plage et qui compte aujourd’hui près de 8 000 génotypes dont 2600 variétés de Vitis vinifera (5600 accessions). Son objectif principal est de conserver la diversité génétique la plus étendue possible
    le conservatoire national du matériel initial des clones sélectionnés (IFV, Pôle Matériel Végétal, Domaine de l’Espiguette). Implanté au Grau-du-Roi, ses missions sont de réaliser les étapes de sélection sanitaire, de maintenir le matériel végétal des clones agréés, de coordonner le Réseau des Partenaires de la Sélection, d’appuyer les travaux dans les régions, de fournir du matériel aux prémultiplicateurs et multiplicateurs et de réaliser des programmes de recherche. Depuis sa création en 1962, plus de 19 000 clones ont été introduits et testés. Environ 5500 y sont actuellement maintenus, représentant près de 550 variétés (raisins de cuve, de table, porte-greffes). Les introductions annuelles se poursuivent au rythme de 100 à 250 clones de variétés françaises ou étrangères
  • les conservatoires régionaux de clones. Toutes catégories confondues, on compte aujourd’hui 120 variétés inscrites au Catalogue national bénéficiant de parcelles conservatoires. Chaque variété y est représentée par un nombre d’individus qui varie de moins de 10 à plus de 1000 (répartis sur plusieurs sites). En 2002, à l’initiative de l’ENTAV la constitution de la Commission Technique Nationale de la Sélection et de Participation (CTNSP) a permis de fédérer les acteurs de la sélection et de la conservation des ressources génétiques de la vigne. Cette commission regroupe autour de l’INRA et l’IFV, 36 partenaires dont 19 Chambres Départementales d’Agriculture et 3 interprofessions. Au total, en 2018, on compte près de 20 000 accessions représentant 120 variétés dans ces conservatoires régionaux, au nombre de 180.

Quelle est la méthode d’établissement d’un conservatoire ?

Tenant compte des avancées techniques et scientifiques, un protocole d’installation et de gestion des conservatoires de clones de vigne a été établi. Il comprend un ensemble de recommandations qui visent, pour l’essentiel, à assurer une relative pérennité aux réalisations, et à fiabiliser leur utilisation en termes de caractérisation de la diversité. Les exigences principales concernent la réalisation des prospections (privilégier les implantations les plus âgées et le nombre de parcelles explorées au nombre de souches marquées par parcelle), la réalisation impérative de tests sanitaires (court noué et enroulements types 1, 2, et 3) sur toutes les souches marquées, et l’élimination des positifs, le choix du site d’accueil (le plus « pérenne » possible, comme un domaine expérimental, et sur terrain vierge de vigne), l’implantation de répétitions d’un ou plusieurs « clone témoin » permettant d’apprécier par exemple l’homogénéité du terrain, et la réalisation de suivis (sanitaires et techniques si possible).

L’ensemble des Partenaires de la Sélection Française a adhéré à Charte de Gestion des Ressources Génétiques Vigne, mise en place par l’INRA à l’initiative du Bureau des Ressources Génétiques (BRG, devenu la Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité), ce qui constitue un ciment supplémentaire au sein de ce réseau. Enfin, la mise en place d’une base de données centralisée, dont l’objectif est de regrouper l’ensemble des informations disponibles sur toutes les accessions conservées en France (origines, emplacements, état sanitaire…) permet d’assurer la pérennité de la traçabilité de l’ensemble de ce matériel végétal stratégique.

Quels sont les risques qui menacent les conservatoires ?

La quasi-totalité des parcelles mises en place depuis l’an 2000, ont en général fait l’objet d’un inventaire sanitaire exhaustif vis-à-vis des viroses graves (court-noué et enroulements type 1,2,3). Les parcelles les plus anciennes peuvent présenter certaines situations à risque liées :

  • au vieillissement naturel : le déplacement d’une parcelle vieillissante peut être parfois nécessaire lorsque la mortalité constatée met en péril le maintien d’un certain nombre d’accessions
  • à l’état sanitaire : le statut sanitaire est parfois incertain par manque de tests exhaustifs à la mise en place de ces parcelles ou en raison de recontamination par des viroses. Des mesures de déplacement pourront s’imposer vers des zones peu viticoles moins soumises aux pressions sanitaires
  • à la pérennité des sites : certains événements imprévisibles peuvent menacer l’existence de certaines parcelles comme l’abandon de domaines expérimentaux, la déprise viticole, des projets routier ou d’urbanismes par exemple
  • à la perte de la mémoire des parcelles : certains conservatoire sont le fruit d’initiatives locales, portées sur un nombre restreint de personnes impliquées et ces réalisations peuvent se trouver menacées par des mouvements de personnels
  • à des raisons économiques : la conservation est souvent liée au sein des organismes à d’autres activités en particulier la production de bois et de plants. Leur forte régression constatée est à l’origine d’une baisse des moyens affectés à l’ensemble des travaux (nouvelles réalisations, suivi technique et sanitaire…)

Quels sont les cépages du Sud-Ouest possédant un conservatoire ?

Berceau de nombreux cépages, plusieurs conservatoires ont été implantés dans notre région par l’IFV Sud-Ouest, les Chambres Départementales d’Agriculture, les associations ou syndicats viticoles. Les variétés possédant un conservatoire sont par ordre alphabétique (le nombre d’origines représentées est indiqué entre parenthèse) : l’Abouriou (50), l’Arrufiac (234), le Baroque (69), le Camaralet (6), le Chasselas (104), le Claverie (35), le Colombard (334), le Cot (322), le Courbu (69), le Crouchen (80), le Duras (154), le Fer (119), le Gibert N (5), le Gros Manseng (173), Le Jurançon noir (50), le Lauzet (9), le Len de l’El (92), le Mauzac Blanc (363), le Mauzac Rose (52), le Milgranet (35), le Mouyssaguès (14), le Négret de Banhars (21), la Négrette (190), le Noual B (4), l’Ondenc (20), le Petit Courbu(193), le Petit Manseng (142), le Prunelard (20), le Saint Côme (3) et le Tannat (317). On peut y rajouter le Baco B, hybride interspécifique destiné à la production d’Armagnac, qui a fait l’objet de travaux de conservation (23 clones).

Share This