LA ROBOTIQUE EN VITICULTURE
La robotique en viticulture se développe. Un de ses premiers enjeux est de conserver de la compétitivité malgré la perte de solutions plutôt confortables du point de vue de l’utilisateur, même si discutables du point de vue environnemental. Immédiatement après vient la réduction de la pénibilité des opérations et la réorganisation du travail permise par les robots. Plusieurs opérations sont désormais robotisées comme l’entretien du sol, l’aide à la récolte, la taille, l’acquisition de données… Voici un tour d’horizon à mi-2018 sur les principales applications de la robotique en viticulture et ses principaux acteurs.
Des robots pour quelles applications ?
L’entretien du sol
La recherche d’alternatives à l’utilisation des herbicides est le premier moteur du développement de la robotique dans l’agriculture. On le voit avec Ecorobotix et son robot dédié aux grandes cultures, qui peut choisir entre binage et micro-pulvérisation des désherbants sur détection. On le voit aussi avec le robot RIPPA de l’université de Sydney, qui travaille de manière très localisée sur de grandes planches de maraichage, ou avec le robot Oz de Naïo technologies, et plus récemment Dino, du même constructeur. Le contexte actuel de suppression des herbicides (fin d’utilisation du Basta en octobre 2018), de négociations tendues autour du renouvellement d’autorisation de mise sur le marché du Glyphosate, renforce le sentiment que la robotique agricole va d’abord servir à remplacer de nombreuses interventions rendues nécessaires par les moyens mécaniques de désherbage ou de tonte. Les parcelles viticoles sont toutefois assez différentes des parcelles maraîchères et la mécanisation du vignoble est déjà performante et efficace pour la gestion du sol dans les inter-rangs. L’enjeu en viticulture se situe donc au niveau de l’entretien du cavaillon et c’est là que les choses se compliquent puisqu’il faut intervenir entre chaque pied de vigne sans prendre le moindre risque de blesser ou pire, d’arracher les souches. Le défi technique est donc de concevoir des robots fiables, robustes et suffisamment puissants pour l’entretien du sol, mais suffisamment précis pour être tout à fait inoffensifs. Le défi économique associé consiste à obtenir une performance suffisante pour les rendre intéressants sur des surfaces conséquentes et être plus compétitifs que les solutions qu’ils remplacent.
L’assistance au port de charge – à la récolte manuelle
Des acteurs comme Effidence ou Sterella proposent des robots porteurs de charge qui peuvent être utilisés pour diminuer la pénibilité associée au travail de débardage lors des chantiers de vendange manuelle. Ils sont équipés de fonctions basiques de suivi de personne ou de retour au point de chargement. Des tests ont déjà été menés en champagne vis-à-vis de cette thématique.
Autres travaux robotisables
Les applications complémentaires à l’entretien du sol et pouvant trouver un intérêt dans leur robotisation sont l’épamprage, la pulvérisation confinée, l’effeuillage, la prétaille. Pour chacune de ces applications, une voie alternative doit être trouvée pour consommer le moins d’énergie possible sur le moment, quitte à répéter l’opération plusieurs fois, ou à changer complètement d’approche dans la conception de l’outil. L’exemple de l’épamprage montre le parallèle avec le désherbage mécanique : plutôt que d’attendre que les pampres (ou les adventices) soient trop développés, le principe est d’intervenir très tôt, sur des éléments faciles à détruire sans utiliser beaucoup d’énergie. Le matériel et le robot sont plus faciles à régler, subissent moins de contraintes et le risque de panne ou de blocage est diminué. En revanche, cette logique impose une détection précoce (homme ou capteur) pour ne pas passer à côté du stade le plus favorable pour intervenir, et une répétition des interventions due à la progressivité de sortie des pampres (ou des adventices) lors du printemps.
La taille
Plusieurs initiatives sont à signaler dans ce domaine, dont le projet Wall ye avec le robot Myce, et le projet FUI R2T2 porté par Vinovalie. L’enjeu est important car pour l’instant la taille reste la dernière opération qui n’est que partiellement mécanisable (avec la prétaille), et elle est pourtant longue et pénible. Un robot de taille fonctionnel représenterait la mécanisation complète de cette opération, et la possibilité de conserver un mode de taille traditionnel, avec une maîtrise de la charge en bourgeons pour correspondre aux cahiers des charges des différentes appellations. Le challenge est la compétitivité du robot, qui passe par un débit de chantier important, et donc de (très) nombreuses coupes par minute.
L’acquisition de données
Utiliser des robots qui parcourent régulièrement les vignobles pour acquérir de l’information sur l’état du feuillage ou sur la vigueur, avec des capteurs adaptés est un moyen de rentabiliser encore plus l’utilisation des robots. Des programmes de recherche ont été menés sur ce thème, on peut notamment citer Vinbot. La reconnaissance et la cartographie de symptômes foliaires, la caractérisation de la vigueur qui est de plus en plus utilisée comme critère de modulation des interventions aux vignoble est possible avec des capteurs de proxi détection. Il est en effet intéressant de profiter des passages répétés au vignoble pour obtenir une information qui puisse servir à éclairer les décisions des viticulteurs. Le comptage des manquants, pour l’évaluation des besoins de remplacement de souches, fait par exemple partie des tâches plus facilement réalisables avec un robot qu’avec un drone. La détection précoce de symptômes de maladies ou de carences et leur cartographie fait aussi partie des missions pertinentes pour un rover terrestre. L’intégration de capteurs et d’intelligence artificielle pour l’analyse des données est un axe de développement important pour apporter plus de valeur ajoutée aux robots.
Quels seraient les avantages – a priori – des robots?
On peut imaginer que l’utilisation de robots au vignoble va diminuer la pénibilité, renforcer l’attractivité du métier et redistribuer du temps de travail vers des opérations ayant une plus forte valeur ajoutée.
D’un point de vue environnemental, les robots sont une porte d’entrée vers des pratiques utilisant moins d’intrants, en levant les contraintes liées au temps de travail. La possibilité de multiplier les interventions par la robotique est techniquement intéressante pour éviter de se laisser dépasser par une problématique d’adventices. Leur poids très limité par rapport aux tracteurs existant et leur motorisation moins gourmande est un atout pour réduire le poste carburant sur l’exploitation. De plus il est envisageable de limiter les phénomènes de tassement des sols, malgré des passages plus fréquents. Il faudra pour cela que la majorité des opérations lourdes au vignoble soit robotisée.
Quels sont les principaux acteurs de la robotique au vignoble et leurs principales différences?
Parmi les firmes ayant dévoilé des projets viticoles, on s’aperçoit que des facteurs tels que la taille des robots, l’énergie utilisée, l’autonomie revendiquée, peuvent varier fortement, signe que le modèle technique et économique associé à la robotique viticole se cherche encore.
La société Vitirover
Basée à Saint-Emilion, elle a été pionnière en matière de robotique appliquée au vignoble, avec l’objectif de ne plus utiliser d’herbicides grâce à de petits robots autonomes destinés à la tonte fréquente près des souches. Primée au palmarès de l’innovation du VINITECH 2012, elle a été rejointe sur le marché par d’autres firmes qui ont l’ambition de changer la viticulture. L’approche de Vitirover, le robot de tonte, est un choix assumé de recherche de compromis permanent entre autonomie (donc minimisation de la consommation électrique) puissance, performance, et innocuité totale pour les utilisateurs ou les pieds de vignes. La capacité de coupe est donc limitée, le format très compact, et la fiabilité est impérative pour pouvoir laisser les robots travailler seuls. Le robot a un déplacement aléatoire mais organisé à l’intérieur de sa zone de travail découpée en sous zones, avec une priorisation de l’orientation du déplacement en fonction du temps passé sur chaque sous zone.
Le robot est dépourvu de capteurs extérieurs, son comportement lui est dicté par les informations en provenance de la centrale inertielle, de la boussole, et des contraintes enregistrées dans chaque moteur de roue. Le développement logiciel associé est donc très complexe compte tenu de la multiplicité des cas à traiter par le robot, qui doit venir se cogner (à faible vitesse) contre les souches pour assurer la tonte au plus près. Le schéma d’entretien du sol associé à ce robot est un enherbement total (rang et inter-rang) permanent avec un cavaillon relativement plat pour faciliter le franchissement. A l’heure actuelle ce type d’entretien du sol est peu répandu et semble réservé à des parcelles ayant un objectif de production très modéré. Cependant, l’hypothèse selon laquelle un entretien fréquent (hebdomadaire) avec le robot permettrait de limiter la concurrence hydro azotée exercée par l’enherbement est intéressante et est en cours de validation par des essais en 2018.
Poids : 20kg
Naïo Technologies
Du côté de Naïo Technologies, le choix est de concevoir un robot adapté à l’entretien mécanique sous le rang dans un premier temps, puis de développer la polyvalence autour d’une gamme d’outils adaptés. Pour un travail plus précis sur le cavaillon, le choix a été fait d’une architecture qui enjambe le rang de vigne. Cette configuration est plus favorable au positionnement des outils mais est plus contraignante en termes de construction mécanique. La motricité est électrique, chaque roue étant motrice et directrice à la fois, ce qui autorise plusieurs modes de fonctionnement pour les manœuvres ou l’alignement dans le rang. Le guidage du robot est pour l’instant totalement dédié au GPS RTK, qui permet certes un positionnement centimétrique, mais qui ne s’appuie pas encore sur la détection de la structure du vignoble: l’alignement des piquets et des ceps. Des tests réalisés à l’automne 2016 puis dans le courant 2017 ont permis de valider les points suivants: douceur de fonctionnement, respect des souches et capacité à réaliser un travail de désherbage régulièrement autour de 3 km/h. Tous les outils du marché ne pourront pas être adaptés. En effet, il n’y a pas de débit hydraulique disponible, pas plus que de prise de force. Aussi, en dehors des outils de binage passifs qui s’adaptent bien sur ce type de porteur, il y aura un besoin de reconception pour disposer d’outils performants. En s’inspirant de ce qui existe sur le marché et en prenant en compte l’énergie disponible sur le robot, il faut définir des solutions techniques adaptées à un usage réaliste au vignoble. L’offre viticole de Naïo s’articule autour du porteur Ted et du chenillard Jo, qui pourra évoluer avec beaucoup de motricité en interligne dans des vignes étroites.
Poids: moins d’une tonne sans outils pour Ted
Vitibot
Startup installée en champagne, est une entreprise qui a fait ses preuves avec un chenillard thermique robotisé (Hector) permettant de tester et fiabiliser les technologies de guidage, en conservant les outils traditionnellement utilisés par les vignerons champenois, comme les interceps. L’objectif de Vitibot est de présenter fin 2018 un enjambeur électrique (Bakus) utilisant les technologies développées avec le chenillard, avec pour objectif principal le désherbage mécanique du cavaillon. Le constructeur ne cache pas son ambition de développer la pulvérisation confinée et a déjà travaillé sur l’effeuillage robotisé, il a été primé en 2016 par le centre d’innovation de l’UTC (université de la Sorbonne).
Poids : autour de 2,5 tonnes
Sitia
Sitia (Val de Loire) avec sa plateforme PUMAGRI, veut s’adresser à tous les vignobles avec une plateforme modulable en largeur et hauteur. Sa largeur hors tout varie de 1,25 à 2,4 m, et il enjambe jusqu’à 1,5 m en hauteur. En vignes larges et hautes il sera donc plutôt utilisé en inter-rang. Sa motorisation hybride thermique et électrique est destinée à lui donner puissance et autonomie pour la réalisation du désherbage mécanique sous le rang dans un premier temps. Il a une capacité d’emport d’une tonne, lui permettant d’envisager l’attelage de divers outils, sur un attelage 3 points classique.
Poids: 1,9 tonnes
Des robots pour quelle structure d’exploitation et avec quels bénéfices attendus ?
Un robot se devra d’offrir un rapport prix / capacité de travail lui permettant d’être rentable par rapport aux mêmes opérations réalisées avec un tracteur. La rentabilité du robot sera d’autant plus évidente que celui-ci sera réellement polyvalent et capable d’effectuer plusieurs tâches, en même temps ou successivement. Selon la puissance, l’autonomie réelle avant recharge ou le modèle d’utilisation, la surface à affecter au robot pour un retour sur investissement sera variable. Les premières estimations donnent une surface minimum de 25 ha. En ce qui concerne la typologie d’utilisation, compte tenu des contraintes de déplacement d’un engin sans chauffeur, les parcelles dédiées aux robots seront celles sur lesquelles il sera facile de les amener, puis de les récupérer pour les recharger. Les exploitations disposant d’un parcellaire regroupé seront donc plus faciles à équiper d’un robot. Il est probable que, le tracteur de l’exploitation n’étant pas totalement abandonné, on assiste à une répartition des tâches entre robot et tracteur définie par l’accessibilité des parcelles, et autorisant une redistribution du temps de travail.
Quelle disponibilité ?
Les robots sont pour l’instant fabriqués en présérie et commercialisés auprès de partenaires privilégiés qui participent de fait au développement pour aboutir aux versions définitives. 2018 et 2019 sont des millésimes importants pour le développement de la robotique au vignoble, les machines de présérie ayant vocation à donner des retours d’utilisation précieux. Avant une disponibilité à une échelle industrielle, le modèle technique et économique vendu avec le robot doit être mieux défini.
Quelle est la position des acteurs traditionnels de la mécanisation du vignoble?
Les grands constructeurs de tracteurs, acteurs de la mécanisation du vignoble, ont fait la démonstration technologique de leur capacité à automatiser totalement un tracteur. On retiendra notamment le concept de tracteur sans cabine Case en grandes cultures, ou le tracteur Fendt robotisé avec la société Precision Makers, et plus récemment le tracteur vigneron New-Holland T4110F NH Drive autonome en collaboration avec les vignobles Gallo en Californie. Au-delà des démonstration de maîtrise technique et des concepts alléchants, il n’y a pas aujourd’hui chez ces constructeurs d’offre déclarée de robotique en viticulture comme celle que l’on trouve portée par les start-ups citées plus haut. Il semble pourtant que l’intérêt, des utilisateurs comme des investisseurs soit bien présent. Alors quelle sera la stratégie à venir des constructeurs de tracteurs? Il y a là un enjeu lié au modèle économique des entreprises du secteur. Il semble en effet difficile de supprimer à court terme toute traction traditionnelle sur les exploitations et la coexistence entre tracteurs et robots et tout à fait envisageable dans un schéma où la répartition des tâches à effectuer entre les deux modes de traction est complémentaire et permet l’optimisation du travail.
A noter, les grands noms de l’agroéquipement sont engagés dans des démarches de définition des différents niveaux d’automatisation dans les tracteurs, à l’image de ce qui se fait dans le monde de l’automobile:
- Guidage simple (avec chauffeur = assistance à la conduite, par exemple Gregoire Easy Pilot)
- Guidage coordonné (deux machines de récolte ensemble par exemple)
- Système esclave-maître (asservissement du tracteur avec la benne)
- Humain hors machine – superviseur (pas de chauffeur mais un contrôle télécommande)
- Autonomie totale
Pour résumer
L’essor de la robotique agricole est mondial (l’université de Sydney, par exemple est très active, robot RIPPA) et le principal sujet traité par les robots agricoles est la gestion du sol. Nous avons en France des acteurs sérieux pour la robotique viticole:
- Vitirover: le pionnier, cherche encore son modèle. Particularité: s’adresse à la gestion d’un sol totalement enherbé
- Sitia, et sa plateforme Pumagri, en pays Nantais, initialement développée pour le maraichage. A fait la démonstration de l’adaptation à la vigne
- Vitibot en Champagne, qui a développé une expertise en navigation autonome au vignoble grâce à l’automatisation d’un chenillard existant. Son objectif est de développer un enjambeur électrique de forte puissance, commercialisable en 2019.
- Naïo Technologies, Toulouse, expertise maraichage, partenariat historique avec l’IFV pour le développement de l’enjambeur électrique Ted pour le binage et le développement de la polyvalence.
- Mais aussi, Wall Ye
2018– 2019 est une période charnière pour les acteurs qui font des démonstrations, des ventes de présérie, mais qui doivent trouver un modèle à la fois technique (quelle est l’expérience utilisateur vendue avec le robot?) et industriel (comment répondre à la forte demande en robots), d’autant que la concurrence va devenir plus forte. Il y aura probablement un enjeu important sur la polyvalence des robots pour les rendre plus rentables. En effet, les coûts annoncés il y a 2 à 3 ans (40 à60 k€) sont maintenant largement dépassés. Il faudra que les robots soient capables de réaliser d’autres tâches (épamprage, traitements, acquisitions de données, etc…) Il y a une opposition de modèles de mécanisation à venir, entre les acteurs traditionnels «tracteur + outil» dont tout le développement repose sur le dogme «plus de puissance pour plus de surfaces et plus de travaux simultanés» et les start-up de la robotique qui mettent en avant une possibilité de changer d’approche: plus de machines plus petites et moins d’effort, plus d’interventions.
Enfin, le défi de la sécurité reste au cœur des discussions dans l’association ROBAGRI, qui rassemble instituts, constructeurs, développeurs et prescripteurs pour la définition de nouvelles normes pour cette nouvelle forme de mécanisation.
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Christophe Gaviglio
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