LA VINIFICATION PAR MACÉRATION CARBONIQUE
Même si la macération carbonique est essentiellement utilisée pour l’élaboration de vins de type primeur, elle peut également convenir à l’obtention de vins rouges de garde, de rosés et même de vins doux naturels.
Qu’entend-on par vinification par macération carbonique ?
On appelle « vinification par macération carbonique » une technique exploitant les phénomènes qui se déroulent spontanément dans les baies intactes de raisin non foulé, lorsque celles-ci sont placées en anaérobiose. Ces raisins sont le siège d’une fermentation intra-cellulaire qui entraîne des modifications complexes et importantes de leur composition. La macération carbonique intervient plus ou moins intensément dans tous les vins rouges où il y a cuvaison de grains entiers non écrasés.
Quelles sont les incidences oenologiques de la vinification par macération carbonique ?
- Les arômes produits lors de la fermentation intra-cellulaire sont riches et intenses
- L’acide malique est fortement dégradé en alcool et en produits secondaires et conduit à une baisse de l’acidité
- Sous l’action des enzymes du raisin, une faible proportion des sucres est trans-formée en alcool (jusqu’à environ 2% d’alcool)
- L’extraction des composés phénoliques est réduite lorsque le pressurage inter-vient précocément, les vins présentent ainsi une structure tannique souple
- Les protéines sont dégradées ce qui augmente fortement la fermentescibilité (alcoolique et malolactique) du moût
- Les risques de piqure lactique ou acétique sont importants
Comment réaliser une vinification par macération carbonique concrète-ment ?
- Une vendange manuelle est impérative
- Les raisins entiers sans foulage ni éraflage, aussi intacts que possible, doivent être introduits dans une cuve saturée en CO2. Privilégier les cuves larges à faible hauteur afin d ‘éviter l’écrasement
- L’apport de CO2 après encuvage doit être maintenu pendant 24 à 48 h après l’encuvage
- Pendant la phase de « macération carbonique » proprement dite, surveiller la densité du jus de goutte de manière quotidienne
- Les décuvage et pressurage sont réalisés en général lorsque la masse volumique du jus de goutte est voisine de 1000. On peut décider ou non d’isoler les 2 frac-tions : le jus de goutte et le jus de presse, la fraction noble et la plus intéressan-te qui contient encore des sucres. Ne pas ajouter de SO2 au pressurage car il risque de fragiliser les levures
- La fermentation du jus de presse doit être réalisée à 18-20°C afin d’éviter de per-dre les arômes acquis. Elle est très rapide (en général de 2 à 7 jours)
De mise en oeuvre assez lourde, cette technique stricte reste limitée alors que la version « semi-carbonique » est la base pratique et réglementaire de la vinification beaujolaise.
A quelle température doit-être conduite une vinification par macération carbonique ?
En dessous de 20°C, cette technique ne présente guère d’intérêt. Les températures élevées (de 25 à 32°C) sont à rechercher car elles renforcent l’intensité du métabolisme anaérobie. Il peut être assez difficile de réguler la température de la cuve, car l’esssentiel de la vendange se trouve sous forme solide. La quantité de chaleur dégagée étant nettement inférieure à celle produite lors d’une vinification classique, on peut éprouver, dans certaines conditions ( chai climatisé, cuves en inox…) des difficultés à maintenir une température suffisante. Il peut ainsi s’avérer intéressant de vendanger les raisins en plein après-midi pour un gain de 4-6°C par rapport à des raisins vendangés le matin.
Combien de temps la macération carbonique doit-elle durer ?
La durée de la phase de macération doit être adaptée en fonction du produit que l’on souhaite élaborer et de la température de la cuve. Pour un vin de garde on préfèrera un couple durée / température de 6-8 jours à 32°C. Pour un rosé, on pourra envisager une durée de macération à 32°C de 48 à 72 h ou de 10 jours à 20-23°C. On considère que la phase de « macération carbonique » est achevée lorsque la fermentation alcoolique du jus de goutte est terminée (densité proche de 1000). A ce stade, il est admis que les effets de métabolisme anaérobie sont acquis pour l’essentiel.
Quelles sont les risques liés à la technique de la macération carbonique ?
De par sa composition en azote modifiée, les moûts issus d’une vinification par macération carbonique sont favorables aux développements de micro-organismes :
- pendant la phase de macération, si l’anaérobiose est insuffisante (mauvaise étanchéité de la cuve), les bactéries acétiques risquent de se développer et de provoquer une piqure acétique
- après décuvage et pressurage, l’assemblage des jus de goutte où la FML est en cours, et des jus de presse riches en sucre peut provoquer une piqure lactique. Tant qu’il y a de l’acide malique, les risques de piqure sont faibles. Il est ainsi important de suivre l’acide malique après pressurage sur jus de goutte, de presse ou sur l’assemblage.
Quelles sont les techniques et les variantes permettant de réduire les risques liés à la macération carbonique ?
- Le sulfitage de la vendange à hauteur de 2 à 8 g/hL, calculé pour le volume de jus de goutte initial (soit environ 30% du jus total) peut être réalisé, mais il vaut mieux privilégier un bon levurage
- Le levurage du fond de cuve permet de remplacer rapidement les apports de CO2 exogène. Afin d’éviter les goûts de réduction, il est préférable de réaliser le levurage au moins 12h après le sulfitage
- La correction de l’acidité par tartricage permet d’augmenter l’activité du SO2
- Un remontage peut être réalisé afin d’homogénéiser la répartition du SO2. Cette pratique augmente par contre le volume de jus de goutte
- Le lysozyme utilisé à la dose de 25-30 g/hL permet de prévenir les risques de piqures lactiques. Afin d’être efficace il doit être utilisé en excès et doit être incorporé lors d’un remontage
Quel est l’impact de la macération carbonique sur les caractéristiques analytiques et aromatiques des vins ?
L’un des volets du projet européen VINAROMAS mené par l’IFV Sud-Ouest et l’Université de Saragosse entre 2007 et 2013 a permis de caractériser finement cinq itinéraires de macération en rouge. Les vins de macération carbonique ont été comparé à un témoin vinifié à 25°C pendant 8 jours. Pour la modalité macération carbonique, 1/4 de la récolte a été éraflée, foulée, disposée dans le fond d’une cuve fermant hermétiquement et levurée à 20g/hl afin de simuler l’écrasement naturel se produisant dans les conditions d’un chai normal de vinification. Compte tenu du faible niveau d’acide malique des raisins et afin de prévenir les risques de piqûres lactiques, le fond de cuve a été systématiquement complémenté à l’aide de lyzozyme (25 g/hl). Des apports de CO2 exogène ont été réalisés pendant le remplissage du reste de la cuve et maintenus pendant 36 heures. La cuve a été ensuite placée dans une chambre à 30°C, pressée avec assemblage des jus de presse et de goutte après 8 jours d’anaérobie et fermentée à 18°C.
Les vins de macération carbonique élaborés dans le cadre de notre étude présentent des niveaux inférieurs en IPT, en anthocyanes, en acidité volatile et en alcool. Le bon contrôle de l’acidité volatile est la conséquence de l’utilisation de lysozyme. Les quantités d’alcool moindres illustrent un phénomène d’inversion du cycle de Krebbs au cours du phénomène anaérobie comme déjà décrit précédemment. Conséquence de la fermentation du moût en phase liquide à une température relativement basse après pressurage, des niveaux inférieurs en alcools de fusel sont mis en évidence dans les vins de macération carbonique. En complément d’observations déjà réalisées sur la technique, trois nouvelles acquisitions méritent d’être signalées : un gain significatif en 3-mercaptohexanol (3MH), en β-damascenone et en o-cresol dont la contribution sensorielle est négligeable. Le niveau supérieur en 3MH pourrait être liéà l’augmentation de la teneur des vins en acides aminés, qui en limitant le phénomène de répression catabolique de l’azote pourrait avoir favorisé l’hydrolyse des précurseurs. La différence de température de fermentation entre la macération carbonique après pressurage (18°C) et la vinification standard fermentée à 25°C pourrait également jouer un rôle.
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Carole Feilhes
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