LE DÉPÉRISSEMENT DE LA SYRAH

Observé depuis les années 1990 dans le sud de la France, (Gard et Hérault), le dépérissement de la Syrah touche l’ensemble de l’aire d’implantation de ce cépage. Le pourcentage de ceps atteints et la progression du dépérissement varient de façon importante d’une parcelle à l’autre.

Quel état des lieux à l’international ?

Ce syndrome a été identifié dans la quasi-totalité des pays viticoles cultivant de la Syrah dans des conditions environnementales très différentes, et notamment dans les principaux pays producteurs que sont l’Argentine, l’Espagne, l’Afrique du Sud, les Etats-Unis (Californie) et le Chili. La question reste posée pour l’Australie où, à notre connaissance, de tels symptômes n’ont encore jamais été mis en évidence.

Quels sont les symptômes du dépérissement de la Syrah ?

Ce syndrome se caractérise par des crevasses au point de greffe (Figure 1) parfois associées à un rougissement du feuillage à l’automne (Figure 2). Un cep présentant ces deux symptômes va mourir à plus ou moins court terme, généralement en ne repartant pas après la taille hivernale. L’apparition des crevasses précède toujours le rougissement du feuillage, beaucoup de souches crevassées pouvant rester vertes et productives pendant de nombreuses années. Les crevasses, verticales ou obliques, sont mises en évidence par suppression de l’écorce au niveau du bourrelet de greffe. De part et d’autre, le bois du greffon et celui du porte-greffe restent en revanche lisses (Figure 1). On peut parfois observer des crevasses à distance du bourrelet de greffe, sur le tronc ou à la pliure des bras, souvent à proximité de grosses plaies de taille (Figure 3). Des symptômes similaires ont été identifiés sur des Syrah franches de pied en Argentine et au Chili. Les crevasses apparaissent à l’endroit où le plant est rabattu à deux yeux à l’issue de la première année, 4 à 5 ans après cette première taille, ce qui semble indiquer que la blessure est un facteur déclenchant (Figure 4).

Figure 2 : rougissements foliaires observés à l’automne

 

Dépérissement à l’échelle de la parcelle
Figure 1 :  Détail d’un point de greffe crevassé, l’écorce a été partiellement supprimée pour faire apparaître les invaginations profondes et localisées
Figure 3 : Crevasses observées à distance du point de greffe
Figure 4 : Crevasses caractéristiques du dépérissement de la Syrah

Quels sont les dysfonctionnements cellulaires observés dans les crevasses ?

Des analyses fines (au niveau des tissus) ont mis en évidence que les crevasses résultent d’un dysfonctionnement localisé du cambium, tissu à l’origine de la formation des vaisseaux conducteurs. L’arrêt localisé du cambium est associé à un problème de différenciation des tissus, à une accumulation de polyphénols, et au développement de nécroses (Figures 5 et 6). Les rougissements foliaires s’expriment à la fin de l’été ou à l’automne, plusieurs années après l’apparition des crevasses (Figure 2). Ils ne doivent pas être confondus avec d’autres rougissements liés à des viroses (enroulement), des carences, des traumatismes mécaniques… Dans le cas du dépérissement, le rougissement est toujours associé aux crevasses. Les analyses cellulaires ont montré, dans les feuilles rougissantes, une accumulation anormale d’amidon et de polyphénols (Figure 7).

Figure 5 : vue générale (obj x 1,25)                   Figure 6 : détail (obj x 10)
Figure 7 : Coupe transversale du limbe d’une feuille rougissante (coloration spécifique)
Ep : épiderme de la feuille ; Am : grains d’amidon colorés en rose ; Po : polyphénols

Quel est l’impact du mode de greffage sur le dépérissement de la Syrah ?

Les crevasses sont observées avec les différents modes de greffage sur table et ce, quelles que soient les concentrations d’hormones utilisées dans les essais suivis. On peut donc exclure que le type de greffe (en oméga, en fente anglaise, en fente simple…) ou l’hormonage soit à l’origine du syndrome. Les greffes en place et les greffes boutures- herbacées semblent retarder l’apparition des symptômes, mais ne permettent pas de les éviter totalement.

Quel est l’impact du porte-greffe sur le dépérissement de la Syrah ?

Quel que soit le porte-greffe utilisé, le problème est susceptible d’apparaître sur les clones sujets au dépérissement. Il a cependant été observé une fréquence et une gravité accrues avec le 110 R et le 99 R, qui sont donc déconseillés si un autre choix de porte-greffe est possible. Quand la situation agronomique l’exige (terrain séchant, schistes, sol acide), le 110 R peut être utilisé avec les clones très peu sensibles, le facteur clone s’avérant prépondérant par rapport à l’effet du porte-greffe, qui doit être considéré comme un facteur aggravant associé à un clone sensible.

Quel est l’impact du clone sur le dépérissement de la Syrah?

Un effet clone très marqué a été observé, il s’agit du facteur le plus important à prendre en compte, qui prédispose les plantations à ce dépérissement. 12 clones sont aujourd’hui agréés en France, parmi lesquels les 3 plus récents (2012) ont été sélectionnés en tenant compte des observations de terrain et analyses génétiques (voir plus bas), qui permettent de les désigner comme très peu susceptibles de développer le syndrome.

Les 9 clones les plus anciennement agréés (avant 1986) et encore inscrits peuvent être classés en 3 catégories de sensibilité :

  • les clones 470, 524, et 747 sont très peu sensibles, et sont à privilégier dans les nouvelles plantations
  • le clone 471 est peu sensible
  • les clones 100, 174, 300, 525 et 877 sont sensibles, et doivent très prochainement être radiés du Catalogue français.

L’observation ampélographique seule ne permet pas d’identifier des clones de Syrah. Depuis plusieurs années, les avancées effectuées dans les techniques d’analyses moléculaires ont permis d’identifier 3 marqueurs génétiques (microsatellites) qui permettent de classer les clones en différents groupes génétiques. Les 16 clones anciennement agréés en 2010 se répartissent en 4 groupes (Tableau 1). L’utilisation de ces 3 marqueurs permet d’identifier séparément le 470 et le 301, ainsi qu’un groupe de 2 clones (524 et 747). La grande majorité des clones reconnus sujets au dépérissement se situe dans le groupe IV, alors que les 3 clones très peu sensibles sont situés dans des groupes distincts (I et II). On dispose donc aujourd’hui d’un outil fiable permettant de contrôler l’identité des clones, ou au moins de les rattacher à un groupe fortement lié à leur comportement vis-à-vis du dépérissement.

Tableau 1 : distinction clonale sur clones de Syrah avec 3 marqueurs génétiques (microsatellites). Cette analyse peut être réalisée sur feuilles ou bois (laboratoire@vignevin.com).

 Quels sont les nouveaux clones en cours de sélection ?

Un programme de sélection clonale est en cours, avec les partenaires de l’IFV, en intégrant ce critère de « non-sensibilité » au dépérissement. Plusieurs dizaines d’accessions ont été présélectionnées dans les conservatoires et anciennes collections d’étude. Elles sont saines pour l’ensemble des viroses recherchées, ne présentent aucun symptôme de dépérissement, et les analyses génétiques les placent dans les groupes à faible risque.

Afin de vérifier leur comportement, sur des effectifs plus importants et dans des conditions pédoclimatiques différentes, de nouvelles collections d’étude sont en cours d’exploitation sur différents sites (Drôme, Vaucluse, Pyrénées-Orientales, Gard). Après de premiers agréments en 2012 (clones 1140, 1141 et 1188), l’objectif est aujourd’hui d’augmenter la diversité du matériel végétal à disposition des viticulteurs, dans un contexte où les dernières sélections les plus problématiques vont disparaître de la multiplication, réduisant d’autant l’offre clonale. Il faut signaler que l’expression des crevasses étant progressive, il faudrait attendre 7 à 10 ans après plantation pour valider définitivement l’absence de sensibilité de ces clones présélectionnés. En complément des autres observations et analyses, les recherches ont permis d’identifier, 18 mois après greffage, un marqueur cellulaire du symptôme «crevasses» en l’absence d’extériorisation visuelle de celles-ci. Tous les clones en cours de sélection sont actuellement testés avec ce marqueur afin de vérifier leur bon comportement par rapport au dépérissement et d’accélérer leur demande d’agrément.

Que cache l’effet clone ?

L’identification des causes du dépérissement a occupé une place prépondérante dans les travaux menés par l’IFV avec notamment la recherche d’agents pathogènes potentiellement impliqués. Des investigations approfondies ont été menées sur le sujet : elles ont permis de mettre hors de cause les champignons, bactéries, phytoplasmes et viroïdes. En particulier, les travaux permettent d’écarter l’implication de 23 des principaux virus capables d’infecter la vigne.

En parallèle, aucune transmission à d’autres cépages n’a été observée dans les essais spécifiquement mis en place (transmission par greffage). Les crevasses restent systématiquement limitées à la partie Syrah dans le cas d’une double greffe par exemple. Il paraît donc très peu probable que la cause primaire du dépérissement de la Syrah soit d’ordre pathologique. L’un des trois marqueurs génétiques utilisés pour la distinction clonale s’est avéré fortement corrélé à la sensibilité au dépérissement sur les 368 accessions testées. L’identification de « l’effet clone », associée à la découverte de ce marqueur a conduit à formuler l’hypothèse d’une origine génétique au syndrome. Différentes approches peuvent être utilisées pour rechercher des gènes potentiellement impliqués dans le dépérissement en se basant sur cette différence de sensibilité clonale. Les travaux portent sur 2 clones très sensibles (383 et E2662) et 1 très peu sensible (470) :

  • le phénotypage (évaluation de la sensibilité) de populations issues d’auto-fécondations et de croisements réalisés entre le 470 et le 383 devrait permettre de confirmer le caractère héréditaire de ce syndrome et d’estimer le nombre de gènes impliqués
  • le reséquençage du génome des clones 470, 383 et E266 permettra d’identifier les différences de séquences entre clones afin de corréler ces différences à leur plus ou moins grande sensibilité
  • l’analyse transcriptomique consiste à comparer l’expression des gènes dans différentes conditions

Ces trois approches sont en cours. La comparaison de l’expression des gènes sur de jeunes plants greffés de 470 et E266 a montré que, malgré un prélèvement ciblé (zone cambiale au début de l’expression des crevasses chez le E266), plus de 5 000 gènes étaient différentiellement exprimés : aucune voie de biosynthèse n’apparaît spécifiquement touchée. La multitude de gènes concernés n’a pas permis d’identifier pour l’instant les gènes les plus intéressants : les analyses doivent se poursuivre. Le recoupement de l’ensemble de ces données devrait permettre de confirmer l’hypothèse génétique et d’identifier, à terme, les gènes impliqués dans la sensibilité au dépérissement.

Comment survient la mort du cep ?

La mort survient suite à un épuisement progressif des réserves du cep. La pousse et la production ont été suivies pendant 3 ans sur une parcelle de 11 ans plantée en clone très sensible. Du stade crevassé vert au stade crevassé rouge et chétif, les ceps subissent une érosion progressive de leur vigueur liée à la diminution des réserves racinaires, se manifestant d’abord par un retard à la pousse printanière, puis une pousse diminuée. La production n’est quant à elle régulièrement affectée qu’au stade chétif. Des incisions annulaires (consistant à retirer totalement un anneau d’écorce) ont été réalisées sur des ceps sains d’un clone peu sensible sur les rameaux, les bras ou au-dessus du point de greffe au stade « grains de pois ». Sur les trois modalités, les ceps incisés ont rougi de la même manière que des ceps dépérissants, à proximité. Le témoin non incisé est lui resté vert. En parallèle, les analyses ont montré que le feuillage était le siège d’une accumulation de sucres sur les ceps incisés comme sur les ceps dépérissants. Ainsi au stade du cep rougissant, les crevasses agissent à la manière d’une incision annulaire, empêchant la redescente des sucres et d’autres composés vers les racines, qui s’accumulent alors dans les parties aériennes entraînant les rougissements.

Quels sont les facteurs aggravants et les solutions possibles ?

Le stade ultime du dépérissement de la Syrah est donc un problème de rechargement des réserves racinaires dû à une mauvaise circulation des sèves perturbée par les crevasses. Tout se passe comme s’il fallait remplir un seau (= les réserves des racines) en utilisant un robinet plus ou moins entartré (= le tronc crevassé) à partir d’un réservoir plus ou moins rempli (= le volume de sucres produits par les feuilles) et qui fuit (= les sucres détournés par les grappes et les rameaux). Tant que les sucres sont produits en excès par rapport aux besoins prioritaires du cep (remplissage des grappes, pousse de la végétation) et que les crevasses le permettent, les réserves sont rechargées. Mais plusieurs situations peuvent perturber la bonne remise en réserves, permettant d’identifier des facteurs aggravant la survenue de la mort :

  • La contrainte hydrique ou un feuillage en mauvais état, qui stoppent ou freinent la production de sucres
  • Une forte production ou un excès de pousse végétative handicapent les sucres disponibles pour les réserves
  • Enfin, les facteurs qui aggravent les difficultés de transport de sève, par exemple ceux, mal connus, défavorables à la synthèse de vaisseaux de phloème

La compréhension des causes de la mort permet de dégager des hypothèses quant à des solutions pour retarder la mortalité des parcelles en place. Ces pistes sont à réserver aux parcelles plantées en clones sensibles et encore jeunes. La limitation de la charge en raisin améliore l’état des ceps tant que les crevasses ne sont pas trop sévères, mais elle n’est pas économiquement envisageable pour de nombreux vignobles. Aussi est-elle réservée à des vignobles à plus haute valeur ajoutée. L’irrigation est la piste la plus intéressante à creuser. Elle est étayée par des observations de mortalité faites sur deux essais « irrigation » en Syrah selon lesquelles la mortalité semble suivre le niveau d’alimentation hydrique : plus la contrainte hydrique est forte, plus la mortalité constatée est importante. Il reste encore à en préciser les modalités. Existe-t-il un itinéraire hydrique « idéal » ciblé pour les réserves racinaires permettant de retarder l’épuisement et la mort des ceps : irrigations post-récolte ?

Pour les nouvelles plantations, le recours aux clones les moins sensibles permet d’avoir l’assurance d’obtenir une parcelle présentant un taux de dépérissement très réduit à long terme. Il faut préciser que le clone 470, peu productif et à teneur plus élevée en anthocyanes et polyphénols, n’est pas adapté à toutes les situations. Pour les parcelles en place, le remplacement des souches dépérissantes peut se faire par l’intermédiaire de plants greffés-soudés ou par du regreffage en ayant dans tous les cas recours aux clones très peu sensibles. Le regreffage tout comme la complantation avec des greffés-soudés sont des techniques assez lourdes avec des taux de reprise et d’entrée en production variables. Leur intérêt respectif doit être étudié au cas par cas. L’acquisition de références technico-économiques plus précises est en cours.

Quelles sont les risques de confusion possibles avec le dépérissement de la Syrah ?

Les symptômes de rougissements étant nombreux dans la seconde partie du cycle végétatif, des confusions sont possibles avec certains désordres. Dans tous les cas, il est nécessaire de confirmer (ou d’infirmer) le diagnostic sur Syrah en recherchant la présence de crevasses au niveau du point de greffe (symptôme spécifique) :

Asphyxie
Enroulement – Fer Servadou
Acariens
Carence en potasse
Carence magnésienne
Cicadelles vertes
Cicadelles bubales
Bois noir
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