LE POURRIDIÉ
« Les pourridiés ou pourritures des racines constituent des maladies localement importantes dans les vignobles, non à cause de la rapidité d’extension des dommages, mais par la persistance dans la vigne infectée et les difficultés pour assainir le sol. Ce sont donc des parasites redoutables qui affectent le « capital vignoble » car une terre envahie par ces champignons perd considérablement de sa valeur ».
Pierre Galet, 1977
Qu’est-ce que le pourridié ?
Le pourridié est une maladie parasitaire très répandue due à des champignons qui se développent sur les racines des vignes, mais aussi des chênes, des arbres fruitiers ou de nombreuses autres espèces (voir plus bas). Elle engendre à terme la mort des ceps atteints. Les symptômes apparaissent plusieurs années après la contamination et sont parfois délicats à identifier. La présence des champignons responsables dans le sol est très persistante, et on observe généralement une réapparition des foyers aux mêmes endroits d’une plantation sur l’autre.
Quels sont les agents du pourridié ?
En Europe, trois formes impliquant des espèces fongiques distinctes ont été signalées sur la vigne :
- Le pourridié agaric, de très loin le plus répandu et le plus virulent, est causé par Armillaria mellea,
- Le pourridié laineux (ou pourridié blanc), dont l’agent est Rosellinia necatrix, se rencontre rarement
- Le pourridié morille, causé par Roesleria hypogea est peu virulent, est souvent associé à des situations languissantes, et ne cause généralement des dommages que sur les petites racines.
Quels sont les symptômes caractéristiques du pourridié ?
De prime abord, la répartition des dégâts dans une parcelle peut aider à établir le diagnostic ; ils sont disposés en tâches qui finissent en larges ronds de mortalité, et se développent souvent à partir d’une bordure arborée, de l’emplacement d’un ancien pêcher de vigne, etc.
Sur la partie aérienne des souches, la maladie se traduit par :
- un débourrement difficile et hétérogène
- une croissance ralentie, un raccourcissement des entre-nœuds et une atrophie des feuilles
- un jaunissement ou rougissement du feuillage selon les cépages
- un rabougrissement général des pieds les plus atteints, touchant d’abord le centre des tâches
- une apoplexie sur tout ou partie du cep (dessèchement de la végétation), précédant de peu la mort
La confirmation de la maladie se fait par observation des parties souterraines (base du tronc, collet, tronc et appareil racinaires) :
- forte odeur de champignon
- feutrage blanc caractéristique sous l’écorce des racines et du collet quand l’attaque est avancée
- racines gorgées d’eau, présentant des écorces noirâtres
- émergence de champignons (carpophores) de couleur jaune miel, souvent en touffes, à la base de ceps morts ou mourants
Photos 1, 2 et 3 : zones de mortalité dans des parcelles âgées
Elément d’épidémiologie et nuisibilité du pourridié (cas d’A. mellea)
Le champignon se développe en saprophyte sur toutes sortes de débris ligneux dans le sol (racines et bois d’arbres morts, piquets, …). A partir de ces sources, des hyphes mycéliens s’étendent jusqu’à rencontrer des racines vivantes et les envahissent, entraînant leur dégradation plus ou moins rapide. Les champignons peuvent ensuite passer d’une racine contaminée à une racine saine, ce qui explique en partie la formation de foyers.
Bien que la maladie soit rencontrée dans tous types de sols, y compris les sables du cordon littoral, sa prolifération est fortement aggravée par la stagnation d’eau et les conditions asphyxiantes en général : sols lourds, hydromorphie, défaut de drainage, mouillères ou résurgences, compaction, …
Les espèces ligneuses à l’origine de la contamination jouent un rôle très important dans les attaques ; Galet (1977) fournit une liste (non exhaustive) de végétaux hébergeant le champignon et susceptibles de provoquer le départ de l’infestation : espèces fruitières (pêchers, pruniers, cerisiers, pommiers, noyers, citrus, framboisiers, mûriers…), feuillus (chênes, hêtres, charmes, bouleaux, peupliers, érables, acacias, buis…), résineux (pins, sapins, mélèzes…), auxquels il faut ajouter lavande, troènes, glycines, lilas…, ainsi que de nombreuses plantes annuelles.
Le plus fréquemment, les dégâts constatés dans les vignobles sont associés à des chênes et à des arbres fruitiers, ce qui rend dangereuses les plantations de vignes sur défriches forestières ou après arrachage de vergers par exemple, à plus forte raison lorsque l’extirpation des racines a été incomplète et qu’un repos du sol n’a pas été respecté. On observe également le développement de pourridié à partir de bords de parcelles boisés, à proximité de chênes notamment.
Sur défriches de résineux, dont les bois se dégradent plus vite et dont les racines hébergent d’autres espèces fongiques peu virulentes sur vigne, les attaques sont moins préoccupantes mais le risque n’est néanmoins jamais à négliger, et il faut absolument éviter de laisser de grandes quantités de résidus ligneux dans le sol.
Si dans la majorité des cas les symptômes sont lents à apparaître et ne se font significativement sentir qu’au bout de quelques années, on observe néanmoins des attaques virulentes sur de très jeunes vignes lorsque certaines conditions favorisantes sont réunies (humidité stagnante, notamment en sols lourds, présence de bois mort en terre, précédent cultural déjà infesté, absence de repos du sol…). Dans ce cas, le plantier exprime d’abord un manque de vigueur et si des actions correctrices ne sont pas immédiatement engagées (décompaction, travail du sol, …), les mortalités peuvent survenir assez rapidement.
Pour ces raisons, il est également inutile d’envisager une complantation pour remplacer les souches au sein d’un rond de mortalité dû au pourridié, les jeunes souches étant vouées à un dépérissement rapide dans ces conditions.
Photo 4 : départ de pourridié sur un jeune plant (manchon blanc sous le point de greffe).
Photo 5 : symptômes au talon de jeunes plants en conditions humides
Quelles sont les méthodes de lutte envisageable contre le pourridié ?
Il n’y a pas à ce jour de spécialités homologuées contre les pourridiés. Deux molécules ont été anciennement utilisées en injection sous forme liquide dans les sols : tétrathiocarbonate de sodium (retiré depuis 2007) et métam-sodium (présentant également une action sur nématodes, retiré sur vigne en 2010).
Des agents de biocontrôle potentiels (champignons du genre Trichoderma) présentant en culture in vitro une croissance antagoniste à celle des agents du pourridié ont pu être testés en apports au sol, sans qu’une réelle preuve d’efficacité pratique n’ait été apportée.
Il n’existe donc pas de méthode de lutte curative, seules des mesures prophylactiques peuvent limiter les risques de développement de la maladie. Pour une efficacité optimale, elles sont à mettre en œuvre préférentiellement lors des travaux préparatoires à une nouvelle plantation :
- prise en compte du précédent cultural et/ou de la présence antérieure de symptômes
- en cas de défrichement préalable ou de replantation après arrachage : élimination du maximum de fragments ligneux et respect d’un repos du sol de 4 à 5 ans, avec couverture végétale (favorisant la dégradation des résidus) ; l’orge a été signalée comme une culture efficace pour réduire les risques (sans toutefois que des essais rigoureux viennent le confirmer)
- amélioration de l’écoulement de l’eau (terrassement, drainage, décompactage efficace, aménagement ou curage de fossés…)
- éloignement par rapport à une lisière de forêt (particulièrement de chênes) ou une parcelle d’arbres fruitiers ; attention aux travaux du sol en bordure (risque des ramener des fragments de racines et de l’inoculum)
Sur une vigne en place : il peut être tenté en cas de détection d’un départ de foyer, d’arracher les souches atteintes et celles qui les entourent en extirpant le maximum de racines, dans le but d’assainir cette partie de parcelle et d’éviter l’extension de la tâche. Cette solution donne cependant vraisemblablement des résultats mitigés, et nécessite de la même façon un repos du sol significatif avant d’envisager une replantation, qui s’avère de toute façon aléatoire.
Que peut-on dire du choix des porte-greffes ?
On ne connaît pas de variétés de porte-greffes résistants aux pourridiés ; tout au plus peut-on préconiser dans les situations à risque de privilégier les plus tolérants aux conditions asphyxiantes ou humides (5 BB, 1103 P, 3309 C, 101-14 Mg, Riparia Gloire), et d’éviter au contraire les plus sensibles (110 R, 41 B, 420 A, Rupestris du Lot, 333 EM). Parmi ces possibilités, il est également conseillé de préférer les plus vigoureux [pour toutes les caractéristiques et critères de choix des porte-greffes : https://www.plantgrape.fr/fr/varietes/varietes-de-porte-greffes].
Crédit photos : O.Yobrégat, IFV
CONTACT
Olivier Yobregat
olivier.yobregat@vignevin.com
POUR EN SAVOIR PLUS
P.Galet, 1977. Les maladies et parasites de la vigne, tome 1. Imp. Paysan du Midi.
B.Dubos, 1999. Maladies cryptogamiques de la vigne. Editions Féret.