LES BACTÉRIES LACTIQUES ET L’ENSEMENCEMENT BACTÉRIEN DES VINS
L’ensemencement bactérien à l’aide de biomasse microbienne sélectionnée est une technologie puissante et aboutie, qui permet de moduler le déroulement de la fermentation malolactique en fonction des conditions œnologiques. Aujourd’hui, 7 à 8% des vins produits à l’échelle mondiale sont ensemencés en bactéries lactiques.
Pourquoi réaliser un ensemencement bactérien ?
Par rapport à une fermentation malolactique aléatoire réalisée avec des bactéries lactiques indigènes, l’ensemencement bactérien présente de nombreux avantages :
- réduction des coûts énergétiques liés au chauffage du vin dans le cas de fermentations malolactiques difficiles
- préservation des qualités organoleptiques en prévenant les risques de déviations microbiologiques et les phénomènes d’oxydation prématurés sur certains vins blancs. En effet, des essais réalisés par l’IFV de Bourgogne ont mis en évidence que l’ensemencement bactérien permettait d’éviter la production de phénols volatils par Brettanomyces, de limiter l’oxydation prématurée du Chardonnay et de stabiliser la couleur du Pinot Noir
- préservation des qualités hygiéniques du vin en limitant la production d’amines biogènes par les bactéries lactiques indigènes. Oenoccocus oeni possède naturellement des enzymes qui peuvent conduire à la production d’amines biogènes. Les étapes de sélection et de production entraînent la perte de ce caractère sur les souches sélectionnées
- respect des délais de commercialisation dans le cas notamment des vins primeurs où les délais entre récolte et mise sur le marché sont raccourcis au maximum
Quels sont les risques liés à l’utilisation des biomasses microbiennes sélectionnées ?
Le principal risque associé à l’utilisation de biomasse microbienne concerne la piqûre lactique qui pourrait survenir dans le cas d’une FML trop rapide. Ce risque est cependant très limité car les sucres ne sont dégradés massivement par les bactéries qu’après épuisement de l’acide malique et citrique. En dessous d’un pH de l’ordre de 3.3, on assiste en fin de FML à une régression naturelle des bactéries lactiques ce qui minimise le risque de piqûre. Dans l’hypothèse où les trois conditions seraient réunies (sucres résiduels, pH>3.3 et FML terminée), il est toujours possible d’utiliser du lysozyme. En fin de FML, la dégradation d’acides secondaires comme l’acide citrique conduit à la formation de diacétyle aux arômes beurrés plus ou moins recherchés par les vinificateurs.
Quels sont les différentes préparations de biomasse microbienne disponibles sur le marché, leurs caractéristiques et leurs coûts ?
Traditionnellement, la réalisation d’un ensemencement bactérien incluait une réactivation de la biomasse car on assistait après introduction dans le milieu, à une forte baisse de la viabilité. En appliquant aux bactéries des facteurs de stress multiples (pH, éthanol, sulfites, température, azote…) au cours de leur production, les fabricants ont réussi à diminuer cette perte de viabilité, à améliorer leur reprise et à ainsi proposer des souches à ensemencement direct. Les biomasses microbiennes sont commercialisées, sous forme liquide, congelée (déshydratée p »ar lyophilisation ou séchage), en culture pure ou en association de cultures pures contenant 10 millions d’UFC/g. Ces spécialités se conservent 18 mois à 4°C ou 30 mois à -20°C. 3 types de préparation sont disponibles sur le marché :
- à acclimatation classique : ce procédé consiste à acclimater progressivement la population bactérienne aux conditions du vin. Cette méthode très efficace nécessite cependant beaucoup de temps car elle implique des étapes programmées et un travail intensif : par exemple réhydratation dans de l’eau non-chlorée, réactivation dans un mélange eau-vin (5 jours), pied de cuve dans un volume de vin donné (10 jours) puis ensemencement. Elle est cependant la plus efficace dans les conditions les plus difficiles et la moins onéreuse (autour de 0,90 € HT/hl). ). D’autres protocoles existent avec un temps minimum de mise en œuvre de l’ordre d’une semaine
- à ensemencement direct : la population bactérienne étant pré-acclimatée aux conditions du vin, il suffit de verser la préparation dans 20 fois son poids d’eau minérale avant de l’incorporer au vin par le haut de la cuve et de réaliser un remontage d’homogénéisation. Coût d’utilisation de 1,20 € HT/hl (forme surgelée à -50°C nécessitant un équipement spécial pour la conservation) à 2,60 € HT/hl
- à acclimatation simplifiée : ce procédé intermédiaire entre l’acclimatation classique et l’ensemencement direct comprend une phase d’acclimatation de 24 heures dans un mélange 50% eau – 50% de vin. Le coût d’utilisation de ce type de biomasses microbiennes revient à environ 1,50 € HT/hl
Comment est réalisée la sélection des souches et quels sont les travaux menés par l’IFV ?
Les souches sélectionnées appartiennent essentiellement au genre Oenococcus sans exclure Lactobacillus et Pediococcus. Elles doivent avoir été isolées de raisins, de moûts ou de vins. Depuis le lancement sur le marché des premières biomasses microbiennes, l’IFV de Beaune a été fortement impliqué dans les processus de sélection. Le développement d’une biomasse bactérienne nécessite de nombreuses années d’expérimentation entre la sélection de la souche et la finalisation de la biomasse microbienne. La souche Vitilactic H+ par exemple, adaptée à la fermentation malolactique des vins blancs à pH bas et à degré alcoolique élevé, est le fruit d’un travail de cinq années réalisé par l’IFV de Beaune. L’IFV a par ailleurs participé à la sélection d’autres souches dont Vitilactic F, Lalvin 31 et FML Expertise S, toutes particulièrement adaptées à la pratique de la co-inoculation. Plus récemment l’IFV, a développé en partenariat avec la Société Lallemand une nouvelle souche de bactérie lactique adaptée aux vins rouges fruités et aux vins rosés : Expertise FML Viva.
Quelles sont les précautions à prendre lors de la mise en oeuvre des biomasses bactériennes ?
- la teneur en SO2 total doit être limitée et inférieure à 50 mg/L, les bactéries étant particulièrement sensibles au SO2 actif ou moléculaire (< 0.3 mg/l)
- le choix de la biomasse à utiliser dans un vin est un critère important pour la réussite de l’ensemencement bactérien, car les souches résistent plus ou moins bien aux conditions physico-chimiques rencontrées dans les vins
- en cas de conditions limitantes (pH, alcool…), pour optimiser la nutrition des bactéries lactiques, il peut être nécessaire d’ajouter 20 g/hL d’activateur de fermentation malolactique. Ces nutriments sont complexes à base d’acides aminés car les bactéries lactiques ont des besoins importants en ces composés
- la réhydratation doit être réalisée à l’aide d’eau minérale, de source ou distillée. L’eau du réseau, plus ou moins riche en chlore, est à proscrire
- après ensemencement, il est recommandé de maintenir la température aux environs de 16°-18°C pendant quelques jours afin de permettre une bonne reprise de la biomasse microbienne. La température peut ensuite être élevée à 20-22°C pour favoriser la croissance de la biomasse et le déroulement de la FML, sans que cela soit une nécessité
Quel est le meilleur moment pour réaliser un ensemencement bactérien ?
Les connaissances sur la maîtrise des fermentations malolactiques permettent d’intégrer l’ensemencement bactérien dans un schéma global de vinification, les préconisations étant de mieux en mieux renseignées. Le diagramme décisionnel suivant peut être proposé :
Qu’appelle-t’on la co-inoculation et comment la réussir ?
La co-inoculation est une technique qui consiste à co-inoculer un moût en levures et en ferments malolactiques. Elle permet d’accélérer significativement la réalisation de la fermentation malolactique. Ce gain de temps peut être décisif pour les vins primeurs, les vins à pH élevés (>3.6), et peut limiter les risque de déviations dues aux bactéries lactiques ou à des levures de contaminations. Selon les cas, les bactéries lactiques sont ajoutées en même temps que les levures (co-inoculation au sens strict) ou après les levures en début ou en cours de fermentation alcoolique (ensemencement bactérien précoce). Pour obtenir un bon taux de réussite, il est important de suivre plusieurs points:
- bonne gestion du développement des levures
- bonne maîtrise thermique
- éviter les sulfitages excessifs pour les vins blancs (ensemencement à 24h cas d’un sulfitage < 5g/hl, ensemencement à 48h cas d’un sulfitage de 5 à 8g/hl, ensemencement à 72h cas d’un sulfitage > 8g/hl)
- pour les vins blancs à forte acidité, il est important de prendre en compte la baisse « naturelle » du pH, les premiers jours de fermentation, parallèlement au métabolisme des composés azotés par la levure. Le pH remonte ensuite parallèlement à la production d’alcool par la levure. Dans ces conditions, il est préférable de réaliser l’ensemencement bactérien lorsque environ 50% de la fermentation alcoolique sont réalisés
- suivre régulièrement l’acide malique lors du dernier tiers de la fermentation alcoolique
- utiliser lors de la fermentation alcoolique des nutriments complexes à base d’acides aminés pour que la levure n’épuise pas les stocks disponibles
- ne pas mettre en œuvre la co-inoculation sur vendange altérée
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Philippe Cottereau
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