Des vignes dressées sur des arbres !

17 Oct 2025

Par Alain Deloire, Professeur retraité de Viticulture, Institut Agro-Montpellier et Olivier Yobregat, IFV Pôle Sud-ouest

La culture de la vigne sur arbres vivants ou morts (servant alors de support) a été pratiquée probablement depuis que les hommes ont apprivoisé ce végétal et se sont inspirés de son comportement à l’état sauvage, et jusqu’au XIXe siècle, avant de quasiment s’éteindre. Il existe toutefois quelques vignobles, notamment en Italie, qui perpétuent de type de culture de Vitis vinifera L. sous le nom poétique de « vite maritata » (la vigne mariée) lorsqu’elle est associée à un arbre vivant.

Voici notamment ce qu’en dit Pline l’Ancien à la fin des années 70 après JC : « Dans la Campanie, on marie les vignes aux peupliers : embrassant cet époux qu’on leur donne, elles étendent le long de ses rameaux leurs tiges noueuses comme autant de bras amoureux, et en atteignent le sommet à une telle hauteur, que le vendangeur stipule, dans son marché, le prix du bûcher et du tombeau. Elles croissent sans fin, et on ne peut les séparer ou plutôt les arracher de l’arbre qui les supporte ».

Les exemples sont nombreux et émaillent la littérature viticole ; dans ce document technique nous en présentons deux issus de sources différentes.

Figure 1 : En plaine comme en coteau, J. Guyot décrit des vignes dressées dans des arbres atteignant 3 à 5 mètres de hauteur. Ces vignes sont bien alignées et disposées à une densité de 4 m × 4 m, soit environ 625 arbres-vignes par hectare. Les arbres-vignes pouvaient être reliés entre eux par des sarments, certainement afin d’augmenter la production de raisin (flèches rouges, figure (b)).

L’arbre est conduit en gobelet sur environ 2 mètres de hauteur ; une seule pousse est laissée en croissance pour entretenir la vitalité de l’arbre (flèche bleue, figure (a)). Les espèces d’arbres choisies sont : i) l’érable ou ii) le merisier, en raison de leur feuillage léger.

L’arbre et la vigne sont plantés simultanément ; il faut 8 à 10 ans pour que le cep de vigne s’installe sur les 5 à 6 branches en gobelet de l’arbre. Les sarments de vigne, longs de 50 à 80 cm, sont attachés aux branches, tandis que des sarments latéraux sont disposés à trois hauteurs autour du gobelet, donnant cette structure en « panier ».

Les rendements atteignent 10 à 15 kg de raisin par arbre. D’après J. Guyot, la qualité des raisins était moyenne, sans compter les coûts associés. Mais il serait intéressant de revisiter ce mode de conduite dans le contexte actuel (pour celles et ceux qui souhaitent expérimenter). Il était également possible de cultiver des céréales (ou autres « plantes sarclées » comme des légumineuses, voire des fourrages) sous les arbres-vignes, entre les rangs. Ce système agraire hérité de l’Antiquité, que l’on peut qualifier d’agroforestier, est désigné sous le nom de « joualle ». Les arbres supports étaient le plus souvent des érables, des peupliers, des ormes ou des fruitiers.

Ces vignes sur arbres, souvent décrites dans les zones de piémont (pyrénéen dans le cas de Jules Guyot présenté ici) ont été abandonnées au profit de la culture de vignes basses de type espalier (vignes palissées), principalement pour des raisons de coûts et de mécanisation. Elles étaient souvent décrites comme produisant une récolte destinée à la consommation familiale, et bien distinguées des « vignes basses », y compris dans les anciens cadastres.

NB : il n’y a pas de relation directe entre un système de conduite de la vigne et le profil aromatique des vins (ce point sera développé dans un prochain document technique).

Figure 1 (a,b) : Vignes sur Arbres, Haute-Garonne, France (XIX) (Guyot J. , 1868) E

Figure 2 : Exemple de récolte de raisin au Portugal sur des vignes cultivées sur des arbres (vigne en hautain). L’utilisation de l’échelle est indispensable pour la vendange ! (Nicolas P., 1920)

Bibliographie

Guyot J., 1868. Etude des vignobles de France, tome 1, Régions du Sud-Est et du Sud-Ouest, Editeur : imprimerie impériale, Paris, p.609

Pierre Nicolas, 1920. Les Grandes Cultures du Monde, La Vigne, Flammarion Editeur

Pline l’Ancien, Naturalis Historia, livre XIV, III-1