1 Professeur de Viticulture, Institut Agro-Montpellier (retraité depuis aout 2023)
2 UMR LEPSE, INRAE, Institut Agro-Montpellier, 34060 Montpellier, France
3 Institut Français de la Vigne et du Vin, Peyrole, France
Quels sont les facteurs impliqués dans le développement des rameaux de vigne ?
Le développement du rameau de la vigne est soumis à la levée de l’inhibition de croissance du bourgeon latent qui est dans une phase physiologique dite de dormance. Cette phase est composée de deux périodes : l’endodormance et l’écodormance.
L’endodormance correspond à une inhibition du développement du bourgeon. Elle est induite par des facteurs internes à la plante qui sont liés à des changements de concentration des métabolites primaires et secondaires (ce sujet n’est pas abordé dans cette fiche technique), ainsi qu’à des hormones telles que l’acide abscissique (ABA). L’endodormance est aussi déclenchée par le raccourcissement de la durée du jour et la diminution de la température de l’air. L’entrée en endodormance se situe vers la véraison ou lorsque la vigne entre en arrêt de croissance. En général dès que le rameau primaire se lignifie les bourgeons situés dans cette zone entrent en « dormance », il s’agit généralement des bourgeons de la base. Il est intéressant de noter que le méristème R1, qui est à l’origine de l’entre-cœur, assure une sorte de dominance sur le bourgeon latent (méristèmes R2 et R3) qui même sur un rameau primaire herbacée (donc non lignifié) inhibe la croissance du bourgeon latent nouvellement formé.
Comment lever l’endodormance des bourgeons latents du sarment d’hiver ? Et bien, généralement en hémisphère Nord notamment, un refroidissement hivernal est nécessaire pour lever l’endodormance (NB : en climat tropical la notion de dormance est différente). Les besoins en froid pour lever l’endodormance sont stables pour un cépage donné, que la période froide soit entrecoupée de périodes chaudes ou non. Les besoins en froid peuvent varier entre les Vitis sp (cépages, porte-greffes,…).
Une fois que l’endodormance de la vigne est levée dans les régions viticoles en France, la plante est au stade de l’écodormance (Pellegrino et al., 2020 ; de Cortazar Atauri, et al., 2009). A partir de ce stade et si les sommes de températures requises pour le débourrement sont acquises, les bourgeons latents vont reprendre leur développement arrêté lors de l’entrée en endodormance.
Le primordium de rameau primaire (la tige) préformé dans le bourgeon (figures 1, 2, 3 & 4) poursuit alors son développement (Champagnol, 1984 ; Lebon et al., 2004 ; Fournioux et Adrian, 2011 ; Carbonneau et al., 2020).
Les stades phénologiques de la vigne ont été décrits dans plusieurs publications et il peut y avoir des différences de notations entre les échelles proposées (Baggiolini, 1952 ; Coombe, 1995 ; Bloesch B. et Viret O., 2008 ; van Leeuwen et al., 2019). Pour les figures jointes nous utilisons l’échelle simplifiée des stades phénologiques de la vigne proposée par Bloesch et Viret (2008) et Zufferey et al. (2022).
Les conditions nécessaires à la croissance des rameaux primaires, et des rameaux secondaires issus de ces derniers, sont :
- La réserve hydrique, minérale, l’azote et la matière organique des sols. Il faut notamment éviter les contraintes hydriques fortes depuis le stade BBCH 01 ou Baggiolini A (pleurs de la vigne) au stade BBCH 69-71 ou Baggiolini F (floraison-nouaison). Par ailleurs, le rôle du microbiote est certainement important de même que la température du sol qui doit être supérieure à +10°C (à minima +15°C). Il faut aussi tenir compte de la température de l’air (cf les modèles de débourrement en base +5°C ; de Cortazar Atauri, 2009)
- Les réserves carbonées et azotées de la vigne localisées dans les racines, le tronc et les sarments, sont nécessaires au développement du rameau primaire de débourrement à floraison. En effet, l’acquisition de statut d’autotrophie des feuilles ainsi que l’assimilation de l’azote et des éléments minéraux par les racines se font progressivement jusqu’à la floraison, au fur et à mesure que la proportion de feuilles adultes croît et que de nouvelles racines fines sont formées (Zapata et al., 2004)

Figure 1. (a) & (b) : Exemples de bourgeon de vigne en cours de développement (débourrement : BBCH 09 ; Baggiolini C) ; (c) Exemple d’un primordium de jeune feuille de vigne en développement prélevé pour observation à partir du bourgeon de la photo (b).
Quels sont les organes préformés dans le bourgeon latent de vigne ?
Le primordium du futur rameau primaire préformé dans le bourgeon (figure 2, b) porte (Fournioux et Adrian, 2011 ; Carbonneau et al., 2020):
– Les futurs nœuds et entre-nœuds (entre 8 et 12 suivant les cépages). La position du bourgeon sur le sarment peut influencer son niveau de différenciation lors de sa formation l’année N pour un développement en année N+1
– Les futures feuilles au niveau de chaque nœud
– Les futures grappes, généralement à partir du 4ème nœud à la base de la tige primordiale. C’est ce que l’on appelle la fertilité du bourgeon latent à savoir le nombre moyen de primordia d’inflorescences par bourgeon. (NB : il est souvent difficile de visualiser les primordia d’inflorescences lors de la réalisation de sections transversales ou longitudinales au niveau d’un bourgeon latent aux stades BBCH 0 ’bourgeon d’hiver’ à 5 ‘bourgeon dans la bourre’ ou ‘bourgeon cotonneux’). Ce stade BBCH 05, représenté dans la figure 1, précède directement le débourrement actif (BBCH 07-09).
Donc il est facile de comprendre que la vigne est taillée en hiver pour réguler le rendement potentiel de l’année N+1, à savoir décider du nombre de bourgeons à laisser sur le cep en fonction du cépage et de la fertilité présumée des bourgeons latents. C’est à ce titre que le type de taille sera choisi (taille courte, taille longue et/ou taille mixte).
Quels sont les tissus de protection des primordia préformés dans les bourgeons latents ?
Quelques informations au sujet de la bourre et des cataphylles (Fournioux et Adrian, 2011 ; Bloesch et Viret, 2008) sont indiquées ci-dessous :
- La bourre dans un bourgeon de vigne joue un rôle essentiel notamment dans la protection et l’isolation des jeunes tissus préformés. En hiver, la bourre (amas de poils laineux) forme une barrière isolante autour des structures sensibles du bourgeon, réduisant ainsi les risques de gel et assurant une isolation contre la déshydratation. (Attention : entre les stades BBCH 01 à 05, la bourre peut accumuler de l’eau s’il pleut ou si l’air est humide, ce qui représente un facteur de risque supplémentaire de gel au printemps pour les bourgeons latents).
- Un cataphyllle est un type de feuille modifiée qui assure des fonctions de protection ou de stockage, plutôt qu’une activité de photosynthèse. Les cataphylles sont généralement plus petites, en forme d’écailles ou épaissies, comparées aux formes foliaires typiques.
En viticulture, les cataphylles sont souvent considérées comme des écailles de bourgeons, protégeant ces derniers du froid et de la dessiccation durant leurs périodes de dormance

Figure 2 : (a) Exemple de bourgeon latent dans le coton, (stade BBCH 05 ; Baggiolini B) ; (b) Exemple d’une section transversale dans un bourgeon latent au stade BBCH 05 montrant l’anatomie d’un primordium de tige (organe en développement) protégé par les cataphylles. Il est difficile sur cette photo de repérer les primordia d’inflorescences.
Profitons-en pour partager quelques informations sur la différence entre un organe primordial et un primordium !
Un organe primordial (ou primordium) est une ébauche d’organe en développement. Il s’agit d’une structure embryonnaire ou initiale qui donnera naissance à un organe mature. Tant qu’il n’a pas atteint un stade fonctionnel et différencié, il est plus juste de parler de primordium plutôt que d’organe à proprement parler.
Cependant, dans certains contextes (notamment en physiologie végétale ou en botanique), on peut considérer un primordium comme un « organe en formation », même s’il n’est pas encore pleinement développé. Par exemple, un primordium foliaire (ébauche de feuille ; figures 1 et 3, photos (c)) est parfois simplement appelé « jeune feuille », bien qu’il ne soit pas encore fonctionnel.
Tout dépend donc du cadre dans lequel on se place :
- Si on parle de structure fonctionnelle, un primordium ne peut pas encore être considéré comme un organe.
- Si on parle de développement, un primordium peut être considéré comme une forme embryonnaire d’organe en devenir.

Figure 3 : La croissance et le développement de l’ensemble des bourgeons latents d’un cep qui contiennent chacun un primordium de tige va donner l’architecture de la végétation du cep (système de conduite + type de taille ; photos d & e) et les rendements associés. Le bourgeon aux stades BBCH 01 à 05 (photo a) contient un primodium de tige (organe en devenir) qui va se développer progressivement en tige (photo b : exemple de future tige au stade BBCH 09 ; Baggiolini C).

Figure 4 : Exemple des premiers stades de développement de la tige. (a) : Chardonnay avec le bourgeon en développement de la base du sarment (taille en courson à deux bourgeons) qui est au stade BBCH 10-11 (Baggiolini D) et le bourgeon du haut qui montre une jeune tige au stade BBCH 13 ou Baggiolini 13 (trois jeunes feuilles étalées + 2 futures inflorescences visibles) ; (b) Cépage Tibouren avec un exemple de bourgeon dont la jeune tige est au stade BBCH 14-15 ou Baggiolini F (cinq jeunes feuilles étalées et deux futures inflorescences visibles au sommet de la jeune tige).
Bibliographie
Baggiolini M., 1952. Les stades repères dans le développement annuel de la vigne et leur utilisation pratique. Revue romande d’Agriculture et d’Arboriculture 8 (1), 4–6.
Bloesch B. et Viret O., 2008. Stades phénologiques repères de la vigne, Revue suisse Viticulture, Arboriculture, Horticulture, Vol. 40 (6): I–IV.
Carbonneau A., Torregrosa L., Deloire A., Pellegrino A., Pantin F., Romieu C., Ojeda H.,Jaillard B., Métay A., Abbal P., 2020. Traité de la Vigne, Physiologie-Terroir-Culture, Dunod,Editeur, Paris, France, ISBN 978-2-10-079857-5, 689 p.
Champagnol F., 1984. Eléments de physiologie de la vigne et de viticulture générale. Imp. Dehan, Montpellier.
de Cortazar Atauri I.G., Brisson N. and Gaudillere J.P., 2009 Performance of several models for predicting budburst date of grapevine (Vitis vinifera L.) Int J Biometeorol, 53:317–326, DOI : 10.1007/s00484-009-0217-4.
Coombe B.G., 1995. Adoption of a system for identifyinggrapevine growth stages, Australian Journal of Grape and Wine Research 1, 100-110.
Fournioux J.C. et Adrian M., 2011. Morphologie et anatomie de la vigne, Editions Féret – Bordeaux, ISBN : 978-2-35156-083-9.
Lebon, E., Pellegrino, A., Tardieu, F., and Lecoeur, J., 2004. Shoot development in grapevine (Vitis vinifera L.) is affected by the modular branching pattern of the stem and intra- and inter-shoot trophic competition. Ann. Bot.93, 263–274.doi: 10.1093/aob/mch038
Pellegrino A., Rogiers S., Deloire A., 2020. Dormance des bourgeons latents de la vigne et développement des rameaux, IVES Technical Reviews, https://doi.org/10.20870/IVES-TR.2020.3420
van Leeuwen C., Destrac-Irvine A., de Resseguier L., de Cortazar-Atauri I.G. and Duchêne E., 2019. Phénologie : suivez l’horloge interne de la vigne, IVES Technical Reviews, https://ives-technicalreviews.eu/article/view/2587
Zapata C, Deléens E, Chaillou S, Magné C. 2004. Partitioning and mobilization of starch and N reserves in grapevine (Vitis vinifera L.). J Plant Physiol.;161(9):1031-40. DOI : 10.1016/j.jplph.2003.11.009.
Zufferey V., Gindro K., Verdenal T., Murisier F., Viret O., 2022. La Vigne. Anatomie et Physiologie (tome 4), Editions AMTRA, Lausanne, Suisse. ISBN 978-3-85928-112-7