Réduction de l’empreinte carbone d’un Vignoble Innovant Ecoresponsable. Scénarii et leviers évalués avec l’outil GES&Vit
Camille Guilbert, Clara Gérardin et Hugo Luzi
IFV Sud-ouest – V’innopôle, 1920 route de Lisle sur Tarn, Peyrole, France
L’empreinte carbone des exploitations viticoles est un indicateur de plus en plus important dans le contexte de changement climatique actuel. Réduire et compenser cette empreinte par des leviers au vignoble ou en cave est un objectif prioritaire pour les Vignobles Innovants Eco-responsables – V.I.E. dédiés à Vin De France. Plusieurs pratiques du V.I.E. sont indispensables pour atteindre les objectifs de haut rendement, notamment la fertilisation, la taille mécanisée, et le palissage très rigide, malgré les émissions engendrées. Des moyens pour réduire l’empreinte carbone du V.I.E. tout en maintenant les objectifs de production sont recherchés pour assurer la durabilité de ce mode de production.
GES&Vit, l’outil développé par l’IFV pour quantifier l’empreinte carbone d’une production viticole
L’outil GES&Vit, opérationnel depuis 2022, permet d’évaluer l’empreinte carbone d’une parcelle viticole, en calculant les émissions directes et indirectes de gaz à effet de serre. Les émissions directes sont liées à l’activité viticole sur la parcelle, comme la combustion de carburant par le tracteur. Les émissions indirectes sont liées à l’amont de la production viticole, comme la fabrication des produits phytosanitaires et des engrais.
Avec GES&Vit, l’empreinte carbone d’une parcelle V.I.E. de référence est ainsi calculée en considérant l’itinéraire technique de référence suivant :
- Taille mécanique (taille rase précise TRP) ;
- Apports azotés soutenus de l’ordre de 80 kg d’azote par hectare et par an, dont 40 kg apportés au sol sous forme organique, et 40 kg sous forme minérale apportés de façon fractionnée par fertirrigation ;
- Couverts végétaux sur tous les inter-rangs, avec alternance d’engrais verts et d’enherbement permanent ;
- Outil d’aide à la décision pour les traitements phytosanitaires.
Dans cette étude, d’autres itinéraires, intégrant des leviers d’intérêt pour réduire son empreinte carbone, sont ainsi testés et comparés à l’empreinte carbone d’une parcelle V.I.E. de référence.
A savoir, cette étude se positionne dans le contexte pédoclimatique de l’Aude, où sont actuellement situés les deux sites pilotes V.I.E.
Réduction et compensation, quelle différence ?
La démarche de réduction de l’empreinte carbone viticole peut s’envisager de deux manières. Prioritairement, on cherche à réduire les émissions directes et indirectes de gaz à effet de serre. Dans un second temps, il est également possible de chercher à compenser ces émissions de gaz à effet de serre par le biais de la séquestration de carbone dans les sols et grâce à la biomasse vivante. Les mécanismes de séquestration sont divers et ne peuvent être comptabilisés que s’ils s’inscrivent sur le long terme : stockage dans le bois (haies, plantations d’arbres…), stockage dans le sol via la matière organique. Toutefois, il convient ici de rappeler que toute augmentation du stock de carbone dans les sols ou dans la biomasse est réversible en cas d’arrêt des pratiques, annulant l’effet bénéfique du stockage. La compensation des émissions par séquestration ne saurait donc remplacer une démarche de réduction des émissions générées.
Figure 1 – Synthèse des émissions de gaz à effet de serre (GES) et de stockage de carbone, présentée par poste d’émissions, pour une parcelle V.I.E. de référence, suivant l’itinéraire technique décrit précédemment. Calculs réalisés avec GES&Vit.
Quatre principaux postes d’émission de carbone
Les sorties de l’outil GES&Vit pour une parcelle V.I.E. de référence sont présentées dans la Figure 1. Les valeurs positives correspondent aux émissions de gaz à effet de serre générées par les différentes actions réalisées sur, ou en amont de la parcelle, et les valeurs négatives correspondent à la capture de carbone dans les sols liée à l’ensemble des opérations impactant la matière organique. Le bilan net est la différence entre les émissions de gaz à effet de serre et la capture de carbone, il correspond à l’empreinte carbone de la parcelle.
4 principaux postes d’émissions se démarquent :
- Le poste carburant – parcelle, lié à la fabrication et combustion du GNR utilisé sur la parcelle, représente 29% des émissions de la parcelle. L’utilisation du tracteur est un poste conséquent, notamment du fait de l’énergie nécessaire pour les différents travaux réalisés (travail du sol, taille, broyage…) ;
- Les émissions de N2O au champ 30% : le N2O, appelé protoxyde d’azote ou monoxyde de diazote, se dégage à cause des apports azotés (engrais azotés, engrais et amendements organiques, épandage de déjections animales…) et via les actions de gestion des couverts végétaux comme la tonte ou la destruction, qui activent les réactions de nitrification-dénitrification. Il est l’un des principaux gaz à effet de serre de l’agriculture. Ce poste d’émissions de N2O est important sur un V.I.E., du fait de la fertilisation élevée et des actions régulières de gestion des couverts végétaux ;
- La fabrication des engrais / amendements 12% : la quantité élevée d’engrais joue fortement sur l’empreinte carbone du V.I.E. ;
- La mise en place de la parcelle 12% : correspondant à la plantation, et à la fabrication des éléments de palissage, amortie sur la durée de vie de la parcelle.
A noter : le stockage du carbone (valeurs négatives sur le graphique) est expliqué par la restitution des sarments au sol et la présence de couverts végétaux (enherbement et engrais verts) pris en compte dans l’itinéraire technique du modèle V.I.E. considéré.
Il faut retenir que pour un modèle V.I.E de référence, les engrais et amendements, conséquents pour soutenir un rendement élevé et stable, ainsi que les actions de gestion des couverts, représentent la plus grosse part de l’empreinte carbone de la parcelle.
Un scenario pour demain…
Pour une parcelle déjà en place, il existe plusieurs leviers d’intérêt relativement simples à mettre en œuvre pour réduire les émissions ou augmenter le stockage du carbone à court terme.
Privilégier le fumier aux engrais azotés
L’utilisation de fumier est un premier levier conséquent car il apporte de l’azote pour les vignes, mais aussi du carbone issu des pailles et autres matières végétales mélangées aux déjections animales, dans le sol. Si le fumier ne permet pas de réduire les émissions, il permet cependant de fertiliser la vigne, d’amender le sol et d’en augmenter le stock de carbone. On peut donc chercher à remplacer les apports d’engrais au sol par du fumier, en veillant à apporter la même quantité d’azote.
Mise en situation :
Utilisation de fumier bovin à 5.7 % d’azote, 7 tonnes/ha pour apporter 40 kg d’azote/ha. Le stockage de carbone dans le sol augmente de plus d’un facteur 2 par rapport à l’itinéraire de référence qui utilise un engrais organique classique. Le bilan net diminue ainsi de 42 %. En revanche, l’utilisation de fumier ne réduit pas les émissions car sa production, son transport, son stockage et son utilisation, émettent également des gaz à effet de serre et que des quantités plus importantes sont nécessaires en comparaison à un engrais commercial pour une même quantité d’azote apportée.
Coupler ses interventions
Le regroupement des interventions mécanisées est aussi un moyen de diminuer le nombre de passages, ce qui diminue par conséquent les émissions à la parcelle. Cela demande une bonne maîtrise technique, de l’anticipation et de l’adaptation en fonction des millésimes.
Mise en situation : le scénario envisage de coupler les opérations suivantes :
- un épamprage mécanique avec une tonte ;
- un écimage précoce avec un des traitements d’encadrement de la fleur (pour le V.I.E., un écimage vers la floraison permet de rigidifier l’ensemble et d’éviter le port retombant) ;
- un rognage avec une tonte ;
- un rognage avec un travail mécanique de l’inter-rang.
On passe donc de 20 passages au total sur l’année, à 16 passages. Cela permet de diminuer les émissions de l’ordre de 3%. Le bilan net diminue ainsi de 6%. Aucun stockage supplémentaire n’est induit dans ce cas.
Planter des haies
Les haies sont un des moyens conséquents pour stocker du carbone dans la biomasse de la haie, mais aussi dans le sol qu’elle enrichit en matière organique. Il est généralement difficile d’implanter une haie par manque d’espace une fois la vigne en place. Il est donc proposé de cibler des haies de petit gabarit de type arbustif, en tour de parcelle.
Mise en situation :
En considérant un ilot V.I.E. théorique de 30 ha de vignes, avec des rangs de 1 km sur une largeur de 300 m, on propose d’implanter des haies tout autour de l’ilot. Cela revient à implanter 2600 mètres de haies autour de l’ilot, équivalant à 90 mètres linéaires de haies par hectare. Il est important de diversifier les essences, de les choisir locales, et d’associer buissons et arbustes. Dans cette situation, la haie permettrait de stocker de l’ordre de 200 kg eqCO2/ha/an, lissés sur 25 ans. Ces valeurs de stockage sont calculées en se basant sur des chiffres du Label Bas Carbone – méthode haies et du projet Carbocage de l’ADEME. Cela représente donc environ 9% des émissions de la parcelle, qui peuvent être stockées dans la biomasse et dans le sol de la haie.
Focus Label Bas Carbone – méthode haies :
Attention, ces calculs se basent sur des références établies dans une optique de reboisement des paysages agricoles via des plantations de haies gérées durablement (peu taillées, arbres manquants ou morts remplacés, aucun résidu brûlé…). On considère ici une plantation nouvelle à partir d’un sol nu, d’une haie qui gagnera en biomasse chaque année, non arrachable pour que le stockage soit définitif. De plus, il est à savoir qu’après plusieurs décennies, la haie gérée durablement atteindra un équilibre et n’accumulera pas éternellement du carbone (cas d’une haie mature). De plus, un coefficient de rabais de productivité de la biomasse est appliqué, dans le contexte de l’Aude.
Ces calculs sont des estimations pour des haies types. Dans tous les cas, selon son mode de gestion et les essences plantées, chaque haie stocke une quantité de carbone qui lui est propre.
Itinéraire « Bas carbone »
Un itinéraire « Bas carbone » est proposé, intégrant ces trois leviers à l’itinéraire technique de la parcelle V.I.E. de référence, afin de quantifier la diminution des émissions de gaz à effet de serre et l’augmentation du stockage de carbone ainsi engendrées. Les résultats sont présentés dans la Figure 2.
Le bilan net diminue de plus de la moitié (-60%), avec une réduction de 3% des émissions grâce aux couplages des interventions, et un stockage dans le sol et dans la biomasse (valeurs négatives de la Figure 2) nettement augmenté avec l’utilisation de fumier et la plantation de haies arbustives à raison de 90 mètres linéaires par hectare.
…et pour aller encore plus loin
A moyen et long termes, il est possible de réduire considérablement l’empreinte carbone d’un V.I.E. en associant à l’itinéraire « Bas Carbone » précédent, des mesures plus marquées dès la plantation.
Remplacer le palissage acier par du palissage bois
Il est conseillé de remplacer les piquets de tête et intermédiaires en acier par des piquets en bois. Dans le cadre d’un palissage pour le V.I.E., le plus important est d’avoir une forte rigidité du système (voir la Fiche Pratique V.I.E. n°2 « Le palissage d’un V.I.E. »). Il est important de veiller à choisir des piquets en bois résistants, imputrescibles, et d’une largeur adaptée pour avoir une bonne rigidité, sans gêner la taille mécanisée.
Mise en situation : Des piquets de tête de diamètre 12 cm, et des piquets intermédiaires de diamètre 6-8 cm, sont utilisés pour cet itinéraire. En comparaison au modèle V.I.E. de référence, cela permet de diminuer les émissions de 9%, via la diminution de l’empreinte carbone de la fabrication du palissage. Le bilan net diminue ainsi de 12%. Aucun stockage supplémentaire n’est induit dans ce cas.
Planter des haies pluristrates en tour de parcelle, et des haies arbustives intraparcellaires
L’ilot V.I.E. est composé de plusieurs parcelles de différents cépages. Chaque ilot peut être encadré avec des haies pluristrates, et morcelé en y ajoutant des haies arbustives intraparcellaires. Les haies pluristrates sont de gabarits plus importants que les haies arbustives. Elles contiennent des arbres de haut jet et des arbustes hauts et bas, qui composent une strate haute et une strate intermédiaire plus ou moins présente. Chaque type de sol et de conditions climatiques détermineront le choix des essences.
Mise en situation : Autour d’un ilot V.I.E. théorique de 30 ha, 2600 mètres linéaires de haies pluristrates sont plantés, ce qui correspond à 90 mètres linéaires par hectare. En plus, des haies arbustives sont implantées entre les rangs de vignes tous les 60 m, ce qui correspond à 150 mètres linéaires de haies intraparcellaires par hectare. On a ainsi des haies hautes et volumineuses autour de l’ilot, et des haies plus petites qui s’intercalent avec les rangs de vignes, au sein de l’ilot.
Les mêmes conditions sur les bases du Label Bas Carbone et du projet Carbocage sont considérées :
- Stockage carbone d’une haie pluristrate positionnée autour de l’ilot, à raison de 90 mètres linéaires par hectare : 280 kg eqCO2/ha/an.
- Stockage carbone de haies arbustives en alternance avec les rangs de vignes, pour morceler l’ilot, à raison de 150 mètres linéaires par hectare : 330 kg eqCO2/ha/an.
Cela représente donc 29% des émissions de la parcelle V.I.E. qui peuvent être stockées dans la biomasse et dans le sol de ces haies.
Utiliser une traction électrique
Le poste « carburant – parcelle » fait partie des plus élevés pour l’empreinte carbone (Figure 1) d’une parcelle V.I.E. Il est donc intéressant d’envisager d’autres types d’énergie pour le tracteur. Les tracteurs électriques sont en développement sur le marché, mais ne sont actuellement disponibles que pour les parcelles en vignes étroites. Ce levier sera donc envisageable sous réserve que le développement de ce type de tracteur se fasse aussi pour vignes larges. Parallèlement, la robotique viticole offre la possibilité de réaliser certaines opérations au vignoble (travail du sol notamment) et ainsi limiter la consommation de carburant.
Mise en situation : En remplaçant toutes les interventions faites au tracteur thermique par un tracteur électrique, on obtient une diminution des émissions de 19%, et une diminution du bilan net de 27%, toujours par rapport au scénario V.I.E. de référence.
Remarque : L’impact lié à la fabrication et la fin des batteries n’est pas inclus dans la simulation GES&Vit. La prise en compte du poste de fabrication pourrait changer les résultats. Cependant, l’impact carbone dû à la fabrication du tracteur thermique n’est pas non plus inclus dans la simulation.
Figure 3 – Synthèse des émissions de gaz à effet de serre (GES) et stockage de carbone, présentée par poste d’émissions, pour une parcelle V.I.E. suivant le scénario « Bas carbone + ». Calculs réalisés avec Ges&Vit.
Itinéraire « Bas carbone + »
Dans l’itinéraire « Bas carbone + », tous les leviers décrits dans cet article sont combinés afin de réduire au maximum les émissions de gaz à effet de serre, et de compenser les émissions restantes dans leur intégralité. Pour rappel, les leviers combinés sont les suivants :
- Palissage bois ;
- Utilisation de fumier à 40 kg N /ha pour l’apport au sol ;
- Couplage des interventions ;
- Utilisation d’une traction électrique ;
- Plantation de haies arbustives intraparcellaires entre les rangs de vignes, correspondant à 150 mètres linéaires / ha ;
- Plantation de haies pluristrates autour de l’ilot, correspondant à 90 mètres linéaires/ ha.
Les résultats issus de l’outil GES&Vit sont présentés dans la Figure 3. Les émissions de gaz à effet de serre diminuent de 28%. Avec des plantations de haies arbustives intra-ilot de l’ordre de 150 mètres / hectare, et des haies pluristrates en tour d’ilot de 90 mètres / hectare, les émissions restantes sont compensées totalement par stockage dans les sols et la biomasse vivante, pour obtenir un bilan net inférieur à zéro.
Et en aval de la filière, comment agir ?
L’amont viticole représente environ 18% de l’empreinte carbone d’une bouteille de vin achetée par le consommateur. Bien que cela corresponde à une part conséquente, d’autres leviers doivent être actionnés en aval de la filière pour diminuer l’empreinte carbone de la bouteille. Le procédé de vinification représente environ 8%, la fabrication de la bouteille en verre varie de 21% à 50%, et le transport représente en moyenne 19% (source : Infographie réalisée par l’ADEME et al., sur l’empreinte carbone de la filière vin). Quelques pistes de diminution des émissions de gaz à effet de serre peuvent être suggérées post-vendange : changer le type de verre en évitant les verres transparents, diminuer le poids de la bouteille en affinant le verre, mettre en place des systèmes de consignes, utiliser d’autres contenants comme les canettes en aluminium, les Bag-In-Box, faire du transport en vrac, développer les chais avec systèmes gravitaires, etc.
Pour conclure
Ces éléments permettent de comprendre les grands postes de l’empreinte carbone d’une parcelle en V.I.E., et d’envisager les leviers pour réduire et compenser les émissions de gaz à effet de serre. Plusieurs mécanismes entrent en jeu et tous n’ont pas le même impact. Plusieurs des pratiques présentées apportent de multiples bénéfices qui sont aussi à considérer dans un projet V.I.E. : apport de matière organique dans le sol, biodiversité dans et autour de la parcelle… La gestion du sol est un sujet à part entière, notamment pour les questions d’appauvrissement des sols en matière organique et de fonctionnement pérenne du sol pour la culture. L’empreinte carbone n’est donc pas le seul indicateur à considérer dans une démarche éco-responsable, bien qu’il représente un réel défi vis-à-vis du changement climatique.
CONTACT
Camille Guilbert
camille.guilbert@vignevin.com