L’IRRIGATION DE LA VIGNE

Depuis plusieurs années, des viticulteurs du Sud-Ouest sont confrontés à une augmentation pénalisante de la contrainte hydrique sur certaines de leurs parcelles et se posent la question du recours à l’irrigation. Un stress hydrique fort peut, en effet, altérer les composantes du rendement, bloquer la maturation et provoquer des pertes de récolte par déshydratation des baies.

Quelle est la réglementation en vigueur en matière d’irrigation de la vigne ?

L’article D665-17-5 code rural et de la pêche maritime a été modifié par le Décret n° 2023-735 du 8 août 2023 relatif à l’irrigation des vignes. Le nouvel article indique que l’irrigation des vignes aptes à la production de raisins de cuve est interdite du 15 septembre à la récolte (pour les vins à appellation d’origine protégée : sous réserve que la possibilité soit prévue dans le cahier des charges de l’appellation considérée).

 Les autres articles du code rural sont maintenus, soit :

CRPM, articles D 645-5 et D 645-7 (pour les vins à appellation d’origine contrôlée):

  • interdiction d’irriguer du 1er mai à la récolte
  • possibilité de déroger à cette interdiction, sous conditions, du 1er mai au 15 septembre, dès lors que cette possibilité est inscrite dans le cahier des charges de l’appellation considérée.
  • Suppression de l’interdiction d’utilisation des installations fixes enterrées
  • Obligation de mise en place de dispositions de contrôle telles que validées par le Conseil des Agréments et Contrôles (juillet 2014)
  • Obligation d’information des autorités compétentes en matière de police de l’eau
  • Le rendement des parcelles irriguées ne peut dépasser le rendement fixé pour l’appellation d’origine contrôlée concernée pour la récolte déterminée. Il est au maximum égal au rendement du cahier des charges.

Le recours à l’irrigation doit être entendu comme un moyen qualitatif afin de répondre aux situations de stress hydrique. Cette possibilité de dérogation s’applique en tout état de cause sans préjudice de la règlementation transversale relative à la gestion équilibrée de la ressource en eau prévue au Code de l’environnement.

Quels sont les différents systèmes d’irrigation de la vigne disponibles ?

Au niveau mondial, le mode d’irrigation utilisé traditionnellement pour la viticulture a été le gravitaire ou par submersion. L’incorporation des systèmes d’irrigation localisée comme le goutte à goutte s’est intensifiée depuis le début des années 1990. De par son aptitude à économiser l’eau et l’exactitude de sa gestion, le goutte à goutte est le système d’irrigation de référence à promouvoir. Le tableau suivant (source Chambre d’Agriculture de l’Aude) recense les avantages et inconvénients des principaux systèmes d’irrigation.

SystèmesAvantagesInconvénientsEfficience qualitative
Irrigation à la raie- faible coût
- pas d'humidification du feuillage
- grande surface évaporatoire
- affectation de la structure des couches supérieures du sol pour préparer la raie
- irrigation non uniforme sur la parcelle
- temps perdu à surveiller l'avancée de l'eau et à déplacer le tuyau d'une raie à l'autre
faible
Aspersion sur frondaison- faible maintenance
- facile à surveiller
- problèmes en conditions venteuses
- coûts de pompage et surpressurage élevés
- peut abîmer les raisins
- augmente le risque de maladies et/ou parasites
- pertes évaporatoires importantes
- faible uniformité d'application
- coût élevé
faible
Aspersion proche du sol- humidification des fruits et des feuilles très faible
- arrosage assez uniforme
- coûts de pompages plus faibles
- effets du vent minimaux
- surveillance difficile
- requiert une bonne conduite de la canopée et de l'enherbement
- peut être endommagé lors du passage de machines dans le vignoble
- demande beaucoup d'entretien
bonne
Irrigation localisée
(goutte
à goutte)
- faibles coûts de pompage
- pas d'humidification du feuillage
- bonne uniformité d'arrosage
- pas de problème d'accès au vignoble
- possibilité d'utiliser des techniques d'irrigation "technologiques"
- l'eau doit être souvent disponible (problème parfois en cas de "tours d'eau")
- maintenance difficile
- importance du pilotage de l'irrigation
- nécessité d'une bonne filtration de l'eau brute
très bonne

Source Chambre d’Agriculture de l’Aude
NB : un système d’irrigation est dit efficient lorsqu’il y a moins de déperditions en eau et que l’eau parvient efficacement au végétal

Comment dimensionner un réseau d’irrigation ?

Si vous décidez de vous équiper d’un système de goutte à goutte, il y a de grandes chances pour que vous fassiez appel à un prestataire qui s’occupera du dimensionnement du réseau. Afin d’avoir un regard critique sur les propositions, voici quelques informations concernant le dimensionnement du réseau. On estime que la perte en pression entre le compteur (la source) et l’arroseur ne doit pas dépasser les 0,8 bars ou kg/cm2. Cette perte de pression varie principalement en fonction du débit, de la longueur du réseau, du diamètre des conduites, des raccords et de la dénivellation montante. A titre d’information, la vitesse d’écoulement se situe en général autour de 1,50 m/s et le diamètre des conduites entre 25 et 40 mm. Il est conseillé afin de limiter les pertes de charge du réseau d’installer le compteur le plus près possible de l’arroseur. L’IFV Sud-Ouest vient de mettre en ligne un formulaire permettant de mesurer ses besoins en eau en fonction des d’apports souhaités (en équivalent de hauteur de précipitation).

De quoi se compose le matériel d’irrigation ?

Le matériel d’irrigation se compose :

  • d’un appareil de filtration indispensable pour protéger le réseau aval et éviter les colmatages. Il peut s’agir de filtres à disques et à tamis ou à sable selon la qualité de l’eau d’irrigation
  • de goutteurs, qui appartiennent à 2 grandes familles (auto-régulants ou non régulants) et qui possèdent une pression de fonctionnement minimum de 1 bar
  • de vannes ou d’électrovannes dont le choix doit être adapté au débit, à la pression de fonctionnement du système notamment
  • d’autres petits matériels : régulateur de pression, volucompteur, colliers, arrêt de rampe et système permettant la mise à l’air et
  • d’éviter les coups de bélier

Comment installer un goutte à goutte à la parcelle ?

Il s’agit de travaux tout à fait réalisables à partir du moment où l’on sait manier une mini-pelle. D’un point de vue pratique, les différentes étapes pour installer un goutte à goutte sont :

  • le creusement des tranchées et le déroulage des peignes
  • le montage de la station d’alimentation et son raccordement aux peignes
  • le déroulement, l’installation des rampes et leur raccordement aux peignes
  • la pose d’un volucompteur et le rebouchage
  • La Chambre d’Agriculture de l’Hérault a estimé à une trentaine d’heures, le temps de travail nécessaire à l’installation d’un système goutte à goutte au sol ou suspendu.

Les opérations les plus gourmandes en temps sont l’installation des rampes et leur raccordement aux peignes.

Que est le coût de l’irrigation de la vigne ?

La durée de vie d’un système goutte à goutte peut être estimé à une quizaine d’années, même si elle peut aller au-delà si le réseau est correctement entretenu. La Chambre d’Agriculture de l’Hérault a estimé que le coût annuel de l’irrigation variait de 302 €/ha/an à 570 €/ha/an. Ces coûts se répartissent de la façon suivante :

  • coût d’installation : 1520 à 2400 €/ha de matériel (station de filtration, peignes, raccords, rampes de goutteurs…) auquel s’ajoutent 420 à 560 € de main d’oeuvre. Le facteur majeur de variation du coût d’installation est la distance entre la borne ou le forage et la parcelle
  • coût d’entretien : 78 €/ha/an incluant le nettoyage, les réparations sur le réseau et la main d’oeuvre nécessaire
  • coût d’arrosage : 150 à 170 €/ha/an constitué par le temps nécessaire au pilotage et au déclenchement de l’arrosage.
  • coût de l’eau : 300 à 1000 m3/ha/an variable selon le mode de prélèvement (tours d’eau, forages…)

Comment mesurer la contrainte hydrique ?

Plusieurs techniques pour l’estimation de l’état hydrique des plantes ont été proposées pour la vigne. Il peut s’agir de méthodes :

  • basées sur des mesures au niveau de la plante : conductance stomatique, potentiel hydrique foliaire avec la chambre à pression, la transpiration avec des capteurs de flux de sève, la température de la feuillle et de la canopée, la dendrométrie pour mesurer la variation du diamètre des troncs, la détermination du rapport isotopique 13C/12C…
  • non basées sur des mesures directes sur la plante : estimation de l’évapotranspiration à partir des données climatiques, disponibilité en eau du sol (tensiomètres, résistance électrique, sondes à neutrons…), ou des calculs d’indice
  • Le potentiel hydrique foliaire a permis d’établir de solides seuils de référence (Carbonneau, Ojeda et al.) valables à l’échelle internationale et pour différentes situations agroclimatiques. La fiche estimation de l’état hydrique de la vigne résume les principaux indicateurs utilisés aujourd’hui. Vous pouvez également accéder à des méthodologies (Mesure du potentiel hydrique foliaire de base et Mesure du potentiel hydrique foliaire de tige)

Lire la méthodologie sur la mesure du potentiel hydrique foliaire de base ou du potentiel foliaire de tige

Comment piloter l’irrigation ?

Hernan Ojeda de l’INRA Pech Rouge, sur la base d’informations scientifiques et empiriques, a établi un modèle qui définit un état hydrique optimal par rapport au cycle végétatif et à l’intensité de la contrainte.

Ce modèle est présenté ci-dessous.

  • période débourrement-floraison : une bonne alimentation hydrique favorise sans excès la croissance des rameaux
  • période floraison-nouaison : l’absence de contrainte hydrique permet de ne pas affecter le taux de nouaison
  • période nouaison-véraison : la contrainte hydrique pendant cette période n’affecte pas la division cellulaire mais réduit le volume des baies. La diminution contrôlée des baies peut être un objectif de qualité dans le cas d’élaboration de vins rouges de garde
  • période véraison-maturité : l’état hydrique pendant cette période détermine en grande partie le type de vin. En l’absence de contrainte, les vins sont herbacés, dilués et acides ; dans le cas d’une contrainte sévère, les vins seront très tanniques, durs et alcooleux
  • période maturité-chute des feuilles : la vigne doit récupérer son état hydrique pour ne pas perturber son métabolisme actif durant cette période.
Source Hernan Ojeda – INRA Pech Rouge
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