LE COURT-NOUE DE LA VIGNE

Le court-noué est une maladie très grave, causée par des virus du genre Nepovirus et présente dans tous les vignobles du monde. Elle infecte aussi bien les porte-greffes que les variétés à raisins, qu’elles soient issues de Vitis vinifera, d’autres espèces de Vitis ou de leurs hybrides. Les symptômes qu’elle provoque n’épargnent aucun organe, présentent une variabilité très étendue ainsi qu’une gamme de sévérité allant du signe bénin à une mortalité massive. Du fait de sa transmission par des nématodes du sol, elle peut perdurer très longtemps après arrachage d’une parcelle, et réinfecter plus ou moins rapidement la plantation suivante. Cette virose, et son extension catastrophique qui a accompagné la reconstitution post-phylloxérique, est historiquement à l’origine de la mise en place de la sélection française et du système de certification des bois et plants de vigne qui en a découlé.

Qu’est-ce que le court-noué ?

Le court-noué est une maladie virale qui peut conduire à l’arrachage prématuré de la parcelle, après avoir causé pendant des années des pertes quantitatives et qualitatives. Désignée en France sous un nom qui rappelle l’un des symptômes qu’elle provoque (raccourcissement des entre-nœuds), elle est mondialement appelée fanleaf (« feuille-éventail »), qui illustre aussi une de ses manifestations (déformations foliaires en palmettes). Dans le monde, on connaît 16 népovirus susceptibles de produire les symptômes de cette maladie, dont les vecteurs sont des nématodes du sol de l’ordre des Némathelminthes ou vers ronds, qui vivent parfois à de grandes profondeurs. 18 espèces vectrices ont été recensées, appartenant à 3 genres : Longidorus, Paralongidorus et Xiphinema. [Demangeat, 2006 ; Lemaire, 2013].

Il existe des associations spécifiques entre nématodes vecteurs et virus. En France, on en trouve très majoritairement deux : le GFLV (Grapevine Fan Leaf Virus), plus souvent mis en évidence, et l’ArMV (Arabic Mosaïc Virus). Ils produisent les mêmes symptômes et sont transmis dans le sol par Xiphinema index pour le GFLV et Xiphinema diversicaudatum pour l’ArMV.  Le couple X.index / GFLV est de loin le plus répandu dans le monde. Pour se nourrir, le nématode pique les racines en croissance à l’aide d’un stylet et transmet le virus s’il est infecté.

On trouve rarement les nématodes dans les couches superficielles du sol, perturbées par les travaux culturaux. Ils sont localisés à proximité des racines, souvent entre 30 et 80 cm (là où le chevelu est le plus dense), mais ils peuvent être retrouvés jusqu’à plusieurs mètres de profondeur si l’enracinement le permet. Ils survivent après arrachage de la vigne pendant plusieurs années en se nourrissant sur des fragments de racines non extirpés. Lorsque les conditions sont défavorables, les nématodes ont aussi la capacité d’entrer en quiescence et d’assurer leur survie au-delà de 5 ans sans prise de nourriture, puis de rentrer à nouveau en activité si les conditions évoluent. Durant cette période, ils peuvent conserver leur capacité à transmettre le virus qu’ils portent. Par eux-mêmes, les nématodes ne parcourent pas plus de quelques centimètres par an, mais les déplacements de terre contribuent plus largement à leur dissémination (érosion, façons culturales, terrassements, …).

Les sols les plus favorables à la présence des nématodes sont les sols argileux. A l’inverse, dans les sols à faible teneur en argile, la propagation du court-noué est moins active, jusqu’au cas extrême des sables qui ne permettent pas la survie des nématodes vecteurs et s’avèrent donc impropres à l’extension de la maladie. C’est l’une des raisons pour lesquelles les conservatoires de l’INRA de Vassal (Marseillan-plage) et le Domaine de l’Espiguette (conservatoire du matériel initial, IFV pôle Matériel Végétal, au Grau du Roi) sont établis dans les sables du cordon littoral.

Quels sont les symptômes du court-noué ?

Lorsque l’origine de la contamination n’est pas l’utilisation de matériel végétal infecté, le court-noué comme d’autres dépérissements infectieux apparaît d’abord par tâches au sein des parcelles. Les nématodes, en piquant successivement deux ceps voisins dont les racines sont proches, inoculent le virus du pied malade au pied sain.

Le court-noué se caractérise par de très nombreux symptômes. Leur type, leur répartition et leur sévérité sont extrêmement variables, et dépendent de multiples facteurs parmi lesquels on peut retenir :

  • La sensibilité variétale, très importante. Certains cépages, même fortement atteints, expriment peu de symptômes et maintiennent une production correcte (Ugni blanc, Clairette, Alicante Bouschet…). D’autres extériorisent très facilement les symptômes (Muscat à petits Grains, Chardonnay, Grenache…)
  • L’espèce et/ou la souche de népovirus impliquée, et l’éventuelle combinaison avec d’autres virus (synergie)
  • L’âge des souches, associé probablement à l’époque de l’infection (les vignes contaminées dans leur jeunesse expriment visiblement plus les symptômes)
  • Les conditions extérieures, en relation avec les stress, les maladies, …
  • L’époque de l’année (symptômes les plus visibles dans la première partie du cycle)
  • D’autres facteurs en relation avec la vigueur, le porte-greffe,… ?

 

Les principales manifestations du court-noué sont les suivantes :

  • Au niveau d’une souche : affaiblissement progressif qui peut conduire à sa mort. Au printemps, la végétation est languissante, retardée, rabougrie et le port est buissonnant.
  • Sur rameaux : aplatissements et divisions anormales au niveau des nœuds ou des mérithalles (fasciations, « balais de sorcière »), raccourcissement des entre-nœuds, croissance en « zigzag », disposition anarchique des vrilles, départ de nombreux bourgeons secondaires, double-nœuds…
  • Sur feuilles : déformations parfois spectaculaires, anomalies des nervures (dédoublées, absentes, anarchiques…), jaunissements (couleur citron au printemps, évoluant vers le blanc en été), panachures réticulées ou diffuses du feuillage…
    Sur inflorescences et grappes : troubles de la fécondité (coulure, millerandage), hétérogénéités de maturité, pertes de rendement et de qualité…

 Comment identifier le court-noué ?

Comme beaucoup de maladies à virus, le diagnostic à partir de l’observation des symptômes peut s’avérer difficile, en raison de la grande diversité des expressions. Selon l’époque de l’année, des confusions sont possibles avec différents accidents, carences ou ravageurs (chlorose calcaire, gel, acariose, eutypiose, dégâts de désherbants…), Certaines variétés sont également connues pour produire naturellement un grand nombre de fasciations en l’absence de virus (particularité génétique), ce qui peut conduire à des erreurs d’appréciation : Fer Servadou N, Macabeu B, Prunelard N….

De ce fait, les méthodes de détections classiques en virologie peuvent être utilisées pour déterminer la maladie :

  • indexage biologique : il s’agit de transmettre par greffage le virus à une variété indicatrice réagissant vivement à l’infection de façon caractéristique. Cette opération est couramment réalisée à l’INRA ou à l’IFV, et constitue toujours la méthode officielle de détection des maladies virales dans le cadre de la sélection clonale. Son avantage est sa rusticité et sa polyvalence : basée sur l’observation de symptômes induits, elle ne dépend pas d’un éventuel variant ou d’un type particulier qui ne serait pas reconnu par une méthode d’analyse directe. L’indicateur utilisé pour le court-noué est le porte-greffe Rupestris du Lot, très expressif lorsqu’il est contaminé.
  • méthode sérologique : c’est actuellement la méthode  la plus rapide et la moins coûteuse, utilisée en routine à grande échelle. Le test ELISA (Enzyme Linked ImmunoSorbent Assay) utilise des anticorps spécifiques des virus responsables du court-noué. Il peut se réaliser sur feuilles, bois ou racines
    Analyses génétiques par PCR : utilisable pour déterminer avec précision le type de virus présent, à partir de n’importe quel fragment végétal. Tous les népovirus ne sont pas analysables actuellement par cette technique, mais les plus courants en France (GFLV et ArMV) le sont.
  • Il est également possible de réaliser une analyse nématologique sur terre (détermination de la présence des nématodes et de leur caractère infectieux, préférentiellement par PCR). Mais le prélèvement, pour qu’il soit représentatif, est très délicat. Même si le résultat de l’analyse est négatif, il faut cependant le considérer avec précaution.

Quelles sont les méthodes de lutte contre le court-noué ?

Il n’existe aucune méthode de lutte curative contre le court-noué. Il faut impérativement agir en préventif et planter dans des sols présentant une population la plus réduite possible de nématodes vecteurs :

  • dévitaliser les souches avant arrachage (traitement de la végétation aérienne en fin de cycle avec un herbicide systémique, comme le glyphosate ou le triclopyr). Les doses d’emploi de glyphosate doivent être en accord avec la réglementation et limitées à 2880 g/ha/an. L’application doit s’effectuer avec panneaux récupérateurs, à 200 l/ha de bouillie. La destruction des racines ainsi réalisée permet de priver de nourriture les nématodes vecteurs du court-noué et d’en faire baisser la population plus vite. L’arrachage aura lieu 4 mois après l’application en automne
  • extirper soigneusement le maximum de racines après arrachage
  • respecter un repos du sol de 7 à 10 ans avant de replanter de la vigne sur un sol contaminé…
  • utiliser du matériel végétal certifié, qui garantit l’absence de viroses graves
  • entretenir les abords de la parcelle, en particulier les fossés présentant des repousses de porte-greffes
  • éliminer toute repousse de vigne sur les parcelles au repos
  • éviter les apports de terre exogène pouvant être contaminée par des nématodes

La désinfection des sols autrefois pratiquée permettait d’éliminer rapidement une partie des nématodes vecteurs du court-noué. L’aldicarbe (granulés) et le dichloropropène (fumigants) sont aujourd’hui interdits.

Un porte-greffe retardant significativement la recontamination par le court-noué, le Nemadex Alain Bouquet, a été inscrit au Catalogue en 2011. Obtenu à l’INRA en 1987 par Alain Bouquet, il est issu sur croisement du porte-greffe 140 Ruggieri avec un hybride entre Vitis vinifera et l’espèce américaine Muscadinia rotundifolia. Si les essais sur de nombreux sites ont bien permis de valider l’efficacité de cette stratégie, ce porte-greffe a malheureusement montré certaines limites agronomiques rédhibitoires : vigueur conférée, tolérance à la sécheresse et au calcaire actif très faibles, mauvaise production de bois en vignes-mères (buissonnant, entre nœuds courts, nombreux anticipés…), mauvaise reprises au greffage et au bouturage.

Et la production de matériel végétal sain ?

Comme les autres viroses, le court-noué se transmet par la multiplication végétative et peut donc être présent dans un jeune plant, contaminé par le greffon ou le porte-greffe. Assurer constamment le renouvellement du vignoble avec du matériel sain constitue la mesure prophylactique la plus simple et la plus efficace pour limiter l’emprise de cette virose, que l’on estime présente avec divers degrés de gravité dans les deux tiers des parcelles françaises. Tout au long du processus de sélection et de multiplication de la vigne en France, des protocoles très stricts sont appliqués pour garantir au maximum l’absence de viroses graves dans le matériel.

  • Conservatoires, collections d’étude, dispositifs expérimentaux : installés sur des sites vierges de vignes ou suffisamment reposés, avec tests ELISA court-noué et enroulements exhaustifs avant plantation. Renouvellement des tests si nécessaire en cours d’étude
  • Inscription de nouveaux clones : introduction de matériel initial au Pôle Matériel Végétal de l’IFV, tests ELISA exhaustifs et indexages
  • Plantation de vignes-mères de prémultiplication : à partir de ce matériel initial, sur des sols vierges de vigne depuis 15 ans minimum, réalisation de tests ELISA sur toutes les souches (par groupage de 10) tous les 5 ans
  • Plantation de vignes-mères de multiplication : matériel de base issu de la prémultiplication, sols vierges de vigne depuis 12 ans minimum, tests ELISA par échantillonnage (protocoles statistiquement valides, en fonction de l’effectif des parcelles) tous les 10 ans
  • Agrément de vignes-mères en matériel standard (rare) : tests ELISA par échantillonnage, renouvelés tous les 10 ans
  • Déclassement immédiat des parcelles en cas de tests positifs, recherche et destruction des lots de plants correspondants qui se trouveraient sur le marché

Quelles pistes de recherche contre le court-noué ?

  1. Les stratégies de désinfection chimique des sols, longtemps employées, ont un impact très négatif pour l’environnement et les organismes non cibles. Certaines molécules comme le DMDS, dérivé d’alliacée, ont été toutefois envisagées mais cette piste n’est pas poursuivie aujourd’hui.
  2. Un projet, mené par l’INRA et visant à étudier le déterminisme génétique de la tolérance observée chez Muscadinia rotundifolia est en cours, avec pour objectif d’identifier des marqueurs génétiques susceptibles d’appuyer de futurs travaux de création variétale et de sélection assistée par marqueurs.
  3. Une piste de biocontrôle par prémunition est à l’essai (inoculation de variants du GFLV peu virulents, susceptibles d’occuper la niche écologique et d’empêcher la multiplication des souches virulentes). Les premières tentatives s’étaient avérées peu concluantes, mais de nouvelles observations ont laissé entrevoir des possibilités dans ce domaine (projet VACCIVINE, dans le cadre du Plan National Dépérissement du Vignoble).
  4. Des plantes à effet nématicide, semées sur les parcelles durant la période de repos entre deux plantations, sont également à l’essai, dans le but d’accélérer la diminution des populations de nématodes (libération de substances nématicides, directement ou après décomposition). Si certaines espèces ont montré une action intéressante en conditions contrôlées (vesce velue, avoine, trèfle violet, moutarde blanche, luzerne…), leur efficacité en plein champ se montre plus aléatoire, ce qui peut s’expliquer par la profondeur à laquelle peuvent être retrouvés les nématodes sur vigne.
  5. Un essai de porte-greffes transgéniques ayant intégré une copie d’un gène d’origine virale avait été initié à l’INRA, mais le dernier dispositif, implanté à Colmar, a été finalement détruit après maintes péripéties, avant d’avoir livré toutes les conclusions quant à l’efficacité de cette technique.
  6. Une stratégie, basée sur la découverte d’anticorps efficaces contre le GFLV (« nanobodies ») chez les camelidés a donné lieu à des essais en laboratoire. Des vignes génétiquement transformées par intégration du gène codant pour cet anticorps ont montré une résistance effective au virus (neutralisation de sa diffusion). A ce jour, les utilisations de ces nanobodies se portent vers l’amélioration des méthodes de détection, mais ces résultats ouvrent de nouvelles perspectives pour le contrôle de cette maladie incurable, pour laquelle aujourd’hui les solutions restent très limitées.
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