Histoire d’un plant : de l’initial au certifié

Dorian Carcenac et Olivier Yobrégat

 

Se rendre chez son pépiniériste afin de choisir et commander ses plants en vue d’une plantation, rien de plus commun en apparence. Mais ce matériel végétal, appelé à produire durant plusieurs décennies, est le fruit d’un long processus de sélection et de contrôles sanitaires.

Tout au long de son histoire, la viticulture n’a cessé de se moderniser et d’évoluer, afin de s’adapter aux nouveaux défis qui se posent constamment à elle. Pour exemple, depuis les lendemains de la crise phylloxérique, les pépiniéristes et acteurs de la filière de sélection et de multiplication ont su se renouveler et s’ajuster aux besoins d’une viticulture de plus en plus précise, en produisant des plants offrant un niveau croissant de garanties sanitaires et de performances agronomiques.

L’établissement du premier pied – la tête de clone
Qu’il soit issu d’un programme de création variétale, ou de travaux de sélection à partir de l’un des nombreux conservatoires génétiques
établis par les partenaires de la Sélection en France, tout individu appelé à être multiplié subit un processus qui se conclut par un agrément et une inscription au Catalogue national (s’il s’agit d’un clone). Cette inscription autorise la multiplication du matériel végétal, et elle se double d’un classement viti-vinicole en ce qui concerne les variétés, qui permet au viticulteur d’en revendiquer les produits (raisin de cuve, de table, …).
La sélection et l’agrément d’un clone se déroulent en deux phases. La première consiste à vérifier l’absence de viroses graves (sélection sanitaire). Selon la destination de la variété (à raisins ou porte-greffe), les exigences diffèrent. Aux viroses du court-noué et des enroulements types 1, 2 et 3 testées pour tout le matériel, s’ajoute la recherche du virus de la marbrure pour les porte-greffes. Ces tests sont réalisés en utilisant différentes méthodes : Elisa («Enzyme Linked ImmunoSorbent Assay » technique immuno-enzymatique de détection), PCR (« Polymerase Chain Reaction » , analyse génétique basée sur une amplification enzymatique
de l’ADN) et indexage (greffage des individus candidats sur des variétés indicatrices (figure 1), cette dernière constituant la méthode obligatoire de référence. Ces tests sont réalisés au Pôle Matériel Végétal de l’IFV au Grau du Roi, établissement public de sélection pour la filière.

Figure 1 : Tests sanitaires avant agrément d’un clone par indexage biologique (méthode de référence)

La seconde étape de la sélection, qui se déroule en parallèle, consiste à déterminer les caractéristiques culturales, technologiques et organoleptiques de l’individu candidat. Des parcelles d’étude comportant un certain nombre de répétitions sont établies suivant un protocole précis (INRA-IFV-CTPS), et permettent de comparer le comportement du ou des accession(s) candidate(s) avec au moins un clone témoin déjà connu.
Une fois l’agrément obtenu, le sélectionneur sera tenu du maintien et du suivi sanitaire de la « tête de clone ».
Au niveau variétal, l’inscription au Catalogue comporte également plusieurs étapes :

  • L’examen de la DHS (Distinction, Homogénéité, Stabilité) : c’est la carte d’identité, la description précise de la plante. Elle est effectuée dans la collection nationale de l’INRA (Domaine de Vassal) par les experts ampélographes.
  • L’essai VATE (évaluation de la « Valeur Agronomique Technologique et Environnementale »). Cette dernière se réalise sur deux sites différents au minimum pour une durée de 5 à 7 ans, qui permet de juger des qualités culturales et techniques de la variété.
  • Le nom de la variété, qui doit être conforme à la réglementation en vigueur.

Si l’individu passe avec succès les examens et que le sélectionneur juge de son intérêt, il dépose un dossier auprès de la section vigne
du CTPS (Comité Technique Permanent de Sélection) qui émet un avis à destination du Ministère de l’Agriculture, en vue de son inscription au Catalogue. Le classement se fait conjointement par dépôt de dossier auprès de France AgriMer. Une fois inscrite et
classée, la nouvelle variété pourra être multipliée, plantée et mise en production chez les viticulteurs.

La multiplication
Ce processus a pour objectif de produire suffisamment de matériel végétal présentant le maximum de garanties sanitaires et agronomiques (certification) pour alimenter la viticulture française par l’intermédiaire des pépiniéristes viticoles (Figure 2).
A partir de la tête de clone, la filière a organisé un processus pyramidal de multiplication passant par trois catégories de matériel.

  • Le matériel initial est produit à partir des têtes de clone (5 à 10 souches). Les greffés-soudés (ou les racinés pour les porte-greffes) qui en sont issus permettent l’installation de parcelles de prémultiplication. Ces dernières sont exclusivement  implantées chez des établissements agréés (14 en France), sur des parcelles qui doivent être vierges de vigne depuis plus de 20 ans.
  • Le matériel de base, issu de la prémultiplication, est utilisé pour implanter des vignes-mères de greffons ou de porte-greffes chez des pépiniéristes ou des vignerons multiplicateurs. Le repos du sol est dans ce cas de 10 ans minimum, et l’ensemble du matériel doit avoir été traité à l’eau chaude avant la plantation (bain à 50 °C pendant 45 minutes), dans le cadre de la lutte prophylactique contre le phytoplasme de la flavescence dorée.
  • Ces vignes permettent la production massive de matériel certifié (greffons et porte-greffes), mis en œuvre par les pépiniéristes pour répondre aux besoins de la viticulture.

Figure 2 : Processus de multiplication

Toutes catégories confondues, ce sont plus de 3700 ha de vignes-mères qui sont disséminées sur le territoire français. A chaque étape, de nombreux contrôles sont effectués à intervalles réguliers :

  • Tests sanitaires contre les virus du court noué et des enroulements types 1 et 3 (tous les 10 ans pour le matériel certifié, tous les 6 ans pour le matériel de base).
  • Contrôle visuel exhaustif des vignes mères de greffons tous les ans (symptômes de maladies à phytoplasme, état sanitaire général).

 

Entre la tête de clone (pied initial) et le plant certifié, seule deux étapes intermédiaires interviennent, ce qui permet d’obtenir des  quantités significatives de matériel tout en limitant les risques de contamination et de perte de traçabilité au cours du processus de multiplication. Un contrôle drastique est effectué à chaque niveau, tant sur les établissements que sur le matériel lui-même, offrant à la filière une sécurité sanitaire et des garanties de traçabilité pour le matériel végétal certifié qui lui est distribué.

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